- 04 avril 2025
- Presse écrite
Manque de transports en commun : la galère des jeunes ruraux
Transport à la demande, covoiturages, autopartage… Face au manque de transports en commun en milieu rural, les collectivités locales s’efforcent de développer des solutions pour faciliter les déplacements. Un problème qui touche particulièrement les jeunes ruraux privés de véhicules, qui n’ont pas d’autres alternatives pour se rendre à leur travail. Cette situation les isole et les plonge dans la précarité.
« J’ai déjà renoncé à plusieurs boulots à cause du manque de transports. Ici, les horaires de bus ne sont pas adaptés à ceux du travail », confie Hugo, 20 ans, sans emploi et sans permis. « Si je dois aller bosser le samedi, c’est cuit, car aucun transport en commun ne circule ce jour-là », résume le jeune homme, domicilié à Laignes, village de 600 habitants près de Châtillon-sur-Seine (Côte-d’Or). « Je me débrouille comme je peux. Je prends le bus qui va en direction de Châtillon, car c’est le seul qui reste. Ils suppriment des lignes comme celle de Montbard, alors qu’il faudrait en rajouter », s’exaspère Hugo qui cherche du travail dans le secteur de la manutention.
Même son de cloche pour Josette. Habitante de Cerisiers, commune de 1 000 habitants située à 20 km de Sens, cette Icaunaise vit avec deux jeunes qu’elle a accueillis en tant qu’enfants placés : Enzo, 18 ans, et Léo, 20 ans. Ce dernier n’a ni voiture, ni permis. « Il a arrêté ses études et se retrouve sans profession. Lorsqu’il a des rendez-vous à la Mission locale de Sens, nous devons le conduire. J’ai demandé au conseil départemental s’il pouvait prendre le bus scolaire et ils ont refusé ! », s’indigne Josette.
Le trajet d’Hugo entre Laignes et Châtillon-sur-Seine dure 45 minutes en bus contre seulement 15 minutes en voiture. © Google Maps
Leur cas est loin d’être isolé. En 2024, 15 millions de Français étaient en situation de « précarité mobilité » selon l’association Wimoov. La même année, une enquête réalisée conjointement par l’institut Terram, l’association Chemins d’avenir et l’Ifop révèle aussi que 38 % des jeunes ruraux ont déjà renoncé à un entretien d’embauche en raison des difficultés de déplacements. « Si vous êtes un jeune rural, vous êtes loin. Pour accéder à un service, à un emploi, à un lieu de vie ou à une institution culturelle, vous devrez faire de longues distances », note le rapport. Le document souligne également que la hausse du prix du carburant « peut occasionner une explosion du budget mobilité mensuel des jeunes ruraux et entamer lourdement leur reste à vivre ».
En outre, « le permis coûte cher et les voitures aussi. C’est un investissement très élevé pour certaines familles. Les jeunes n’ont pas accès au travail, car ils n’ont pas le permis ou la voiture. C’est un peu le serpent qui se mord la queue et pour eux, c’est démoralisant », observe Aurore Flipo, sociologue spécialiste des inégalités spatiales liées à la mobilité.
Face à la faible fréquence des lignes de bus, de nombreux jeunes ruraux se tournent vers l’automobile. En 2019, 9 jeunes sur 10 privilégiaient la voiture pour leurs déplacements, selon un rapport de la Région Bourgogne-Franche-Comté. © Yann Cuileyrier
Cette « précarité mobilité » est particulièrement élevée en Bourgogne : « 82 % des jeunes que nous accompagnons n’ont pas le permis et cela tend à augmenter, détaille Nathalie Cabrespines, directrice de la Mission locale de Montbard en Côte-d’Or. Depuis le Covid, les auto-écoles sont surchargées. Les jeunes doivent parfois attendre jusqu’à cinq mois pour passer le permis ! », souligne la responsable.
Hugo, qui a commencé à passer le code de la route, a hâte d’avoir son propre véhicule : « À la campagne, le permis, c’est indispensable pour aller travailler. »
Des initiatives locales hétéroclites et parfois inadaptées
Les collectivités locales se sont emparées du sujet. La communauté de communes du Clunisois, en Saône-et-Loire, propose ainsi une ligne de transports à la demande. Pour quelques euros par passager, trois minibus de neuf places desservent une quarantaine de villages aux alentours. Les usagers doivent cependant réserver la veille et revenir au plus tard à 18 h sur le lieu prévu. De plus, la navette circule uniquement le mercredi après-midi et le samedi matin. « Ce sont plutôt les écoliers et les personnes âgées qui prennent ce transport pour aller au collège ou à la pharmacie. Nous amenons un jeune homme de 25 ans, mais c’est temporaire, car il n’a plus de voiture », raconte Claire, conductrice de la navette.
La faible fréquence de ces véhicules collectifs est pointée du doigt par les usagers. « À Cerisiers, le premier passage de la navette est à 9 h 45. Si mon jeune a un rendez-vous à 8 h 30 avec la Mission locale de Sens, il ne peut pas s’y rendre ! », s’offusque Josette. Ce manque d’adaptation touche particulièrement les jeunes de certaines professions. « Si le jeune pâtissier ou maroquinier doit se rendre au magasin à 6 h du matin, c’est quasi-certain qu’aucun bus de son village ne l’amènera à son travail avant 8 h. Et c’est un vrai problème », martèle Nathalie Cabrespines.
Selon l’institut Terram, les jeunes ruraux passent en moyenne 2 h 37 dans les transports chaque jour. Soit trois quarts d’heure de plus que les urbains. © Yann Cuileyrier
Soutenu par la Région Bourgogne-Franche-Comté, le réseau de transport Mobigo développe de son côté le covoiturage. Presque 200 aires ont été aménagées dans toute la région. D’autres plateformes sont lancées par les communautés de communes. C’est le cas de Dombes Saône Vallée qui a mis en ligne sa propre application, Karos. Celle-ci permet aux locaux de se rendre au travail grâce à un covoitureur. Mais le covoiturage est souvent le résultat d’arrangements entre voisins, amis ou collègues de travail : « Certains vignobles vont chercher leurs saisonniers en minibus. Moi-même, il m’est arrivé d’emmener des jeunes que j’accompagne à des rendez-vous professionnels, faute d’autres solutions », se désole Jean-Philippe Virey, référent mobilité de la Mission locale de Montbard.
Les élus tentent également de structurer certains moyens de déplacement comme l’auto-stop organisé ou l’autopartage. La communauté de communes du Clunisois a mis une flotte de six voitures à la disposition de ses habitants. Loué 6 euros la journée, le véhicule sert uniquement pour les trajets professionnels et peut être utilisé pendant trois mois de suite. Le service rencontre un réel succès auprès des jeunes : « La période d’emprunt est assez longue, ce qui leur laisse un peu de temps pour acheter une voiture », assure Claire, employée de la communauté de communes du Clunisois.
Pour la sociologue Aurore Flipo, l’autopartage est cependant une solution à court terme : « Pour des déplacements professionnels, il faut emprunter la voiture tous les jours. Or, ce n’est pas trop la philosophie de l’autopartage. Lorsqu’un foyer loue une voiture, c’est pour remplacer le second véhicule et non pas le principal. »
Un maillage de transports en commun mal réparti en Bourgogne
En l’absence de moyens de locomotion alternatifs, la voiture reste reine dans les territoires ruraux. C’est le cas en Bourgogne-Franche-Comté. En 2019, une enquête commandée par la Région constatait que 91 % des ruraux se déplaçaient en voiture. Un paradoxe quand on sait que de plus en plus de jeunes se tournent vers les transports doux. « Ils sont moins nombreux à passer le permis ou à détenir une voiture, en raison du coût, de l’éloignement et de la conscience écologique », explique Cédric Journeau, président de la délégation bourguignonne de la FNAUT (Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports).
En Bourgogne-Franche-Comté, c’est le département de la Haute-Saône qui est le moins bien desservi par les transports en commun. 54 % de ses habitants sont domiciliés à plus de 10 minutes d’un arrêt de bus ou d’une gare. © UFC-Que Choisir
Selon lui, la faible fréquentation des transports collectifs en Bourgogne est due à un inégal maillage géographique : « Si le Dijonnais et la vallée de la Saône sont dynamiques et très bien desservis par les transports, d’autres zones comme la Nièvre ou le Morvan [plus pauvres] souffrent d’un réseau moins important. » La faible densité est également un frein puisque les foyers dispersés favorisent la voiture. « Quand un jeune vient du fin fond du Châtillonnais, il n’a rien pour venir jusqu’à Montbard. Soit les parents l’emmènent, soit il passe le permis. Il y a un réel problème de transports collectifs dans la région », alerte Jean-Philippe Virey. Enfin, des raisons politiques rendent difficile l’expansion du réseau de transports en commun. Les lois de décentralisation votées en 2015 et 2019 ont transféré la gestion des autocars et TER aux collectivités locales. Or, faute de budget, « les collectivités locales sont très réticentes à développer les bus ou les trains », analyse Aurore Flipo.
« Il faut que la voiture et les transports en commun soient complémentaires »
Avec la crise des gilets jaunes, la hausse du prix des carburants et l’urgence climatique, les politiques prennent de plus en plus conscience que les transports sont « un enjeu important », relève Aurore Flipo. Mais pour y répondre, leurs initiatives restent très locales. « Le problème en France, c’est qu’il n’y a rien qui centralise tous les réseaux. Il faut télécharger l’application de la SNCF, celle de la région ou de l’intercommunalité… ça porte à confusion », déplore Cédric Journeau.
À défaut d’un réseau de transports conséquent, les collectivités territoriales versent des subventions pour encourager les jeunes à passer le permis. La Région peut ainsi verser 300 euros, le département peut contribuer également, et « nous organisons des ateliers bimensuels pour l’apprentissage du code de la route. Enfin, nous disposons de trois simulateurs de conduite », détaille Nathalie Cabrespines, directrice de la Mission locale de Montbard en Côte-d’Or.
Plus de 11 000 communes n’ont pas d’arrêt de bus en France. © Que Choisir
Les transports en commun ne remplaceront certes jamais la voiture, mais des solutions alternatives restent à explorer, selon Cédric Journeau : « Il faut améliorer la cadence des trains et étaler les horaires de 5 h à 23 h. Et il faut que la voiture et les transports en commun soient complémentaires », ce qui doit passer selon lui par l’installation de« moyens de rabattement », comme des espaces de covoiturage aménagés à proximité des lignes de bus. Enfin, Cédric Journeau estime qu’il faut augmenter la capacité de transports des trains, de plus en plus saturés.
Des efforts d’autant plus nécessaires que le nombre de Français en situation de « précarité mobilité » risque d’augmenter dans les prochaines décennies. Sans plan de développement des transports en commun dans les zones rurales, et avec l’interdiction prévue en 2035 de la vente de voitures thermiques neuves – en vertu d’une législation européenne adoptée en 2023 – , les problèmes de mobilité pourraient s’aggraver et rendre la recherche d’emploi encore plus difficile pour les jeunes.
5 heures de transports en commun pour rejoindre l’université : le casse-tête de Mathis, jeune rural de 22 ans.
Être étudiant, mais pas véhiculé, rend la vie compliquée. C’est le cas de Mathis, 22 ans, en première année de Master Patrimoine à l’Université de Bretagne Sud, à Lorient (Morbihan), et qui réside à Château-Gontier (Mayenne), à plus de 250 km de là. Sans permis en poche, ni voiture, le jeune homme est contraint à chaque rentrée à un parcours du combattant pour retourner dans sa faculté. « Je dois prendre la navette qui relie Château-Gontier à la gare de Laval en début d’après-midi, parce que sinon il n’y a pas d’autres passages jusqu’à 17 h. Une fois dans le bus, j’en ai pour 45 minutes. Arrivé à Laval, j’attends deux à trois heures dans la gare, avant un trajet de deux heures de train pour Lorient. C’est fatigant et au final, c’est une après-midi de perdue », se désole le jeune homme. Son voyage dure près de cinq heures au total. Un jeune rural passe en moyenne 2 h 37 dans les transports chaque jour selon l’institut Terram, soit trois quarts d’heures de plus que les urbains.
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