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Déserts médicaux : des apprentis médecins très courtisés, mais peu motivés

La France perd en moyenne 500 médecins généralistes chaque année. Pour endiguer cette expansion des déserts médicaux, les communes en pénurie de soignants cherchent encore les remèdes. Maisons de santé pluridisciplinaires, téléconsultations, financements de bourses d’études pour attirer les futurs médecins… Les solutions préconisées sont loin de convaincre les syndicats professionnels comme les étudiants en médecine de Dijon.

Selon les chercheurs, l’efficacité des bourses pour financer les études en médecine ne sera visible que dans 15 ou 20 ans. ©  Yann Cuileyrier

« On tire la sonnette d’alarme depuis plus de 10 ans », se désespère Patricia Lefébure, présidente de la Fédération des médecins de France. Il y a quelques jours, c’est la Cour des comptes qui évaluait sévèrement la politique de santé menée par les gouvernements successifs. Dans son rapport, l’organisme juge que les mesures sont “dispersées” et “peu ciblées”. Aussi, selon les chiffres du rapport sénatorial de 2022, 30 % de la population française vit dans un désert médical, ces territoires où l’accessibilité aux soins et le nombre de médecins sont faibles. Une situation qui concerne de nombreux départements, y compris en région Bourgogne-Franche-Comté. La Nièvre et l’Yonne comptent respectivement 221 et 212 docteurs pour 100 000 habitants en 2023, soit très en dessous de la moyenne nationale de 339 médecins. Une situation de pénurie qui a de lourdes conséquences, comme la saturation fréquente des services d’urgences des villes proches. À l’hôpital de Dijon, le taux d’occupation avoisine les 97 % en 2018. Et devant l’éloignement des lieux de soin, beaucoup de patients renoncent à se faire soigner, ce qui entraîne une surmortalité dans les zones rurales. D’après l’Association des maires ruraux de France, l’espérance de vie est moins élevée d’1,4 an chez les hommes et de 8 mois chez les femmes vivant dans les zones rurales en 2021, que la moyenne nationale.

Les causes de cette crise sont nombreuses et anciennes. « Les effectifs ont commencé à baisser à la fin des années 2000. De nombreux médecins se sont retrouvés à la retraite tandis que le Numérus Clausus (le nombre d’étudiants de médecine pouvant accéder en deuxième année fixé par arrêté ministériel, ndlr) a limité l’installation des nouveaux », rappelle Guillaume Chevillard, géographe à l’Institut de Recherche et Documentation en Economie de la Santé (IRDES). Même si le Numérus Clausus a été supprimé en 2020, l’expert estime que la pénurie va continuer jusqu’à la fin de la décennie, voire jusqu’en 2035 puisque la durée de formation d’un étudiant en médecine prend au moins dix ans. « On nous dit que c’est le creux de la vague et que dans 5 ans ça ira mieux. Pas du tout ! » partage Patricia Lefébure, présidente de la Fédération des médecins de France, qui dénonce l’immobilisme des gouvernements successifs.

Du côté des futurs médecins, ce défi de repeupler les territoires dépourvus en praticiens est ressenti comme une pression dure à vivre.  « On est bien conscient de la situation, car on sait très bien que ce sont les étudiants qui portent l’actuel système de santé en France » se désole Jacques, natif de Dijon, étudiant en seconde année de médecine à l’université de Bourgogne et futur gynécologue. « On veut faire en sorte que ça soit nous qui nous occupions des déserts médicaux. Je ne suis pas sûr que ce soit une solution, car nous obliger à travailler dans des territoires peut nous décourager ». Sa camarade de promotion, Ofélia, originaire de Cluny, approuve : « La population française ne se rend pas compte de la situation des étudiants en médecine entre l’externat, le rythme des études, les stages aux hôpitaux… En plus de ça, en troisième cycle, on est obligé de faire des stages tous les six mois. Et donc de changer à chaque fois d’établissement. Ça devient compliqué de se stabiliser. On n’a pas envie qu’on nous impose en plus le lieu de l’installation », se chagrine l’étudiante.

En 2022, la France comptait 2251 maisons de santé, soit deux fois plus qu’en 2019. Ici la maison médicale de Pouilly-en-Auxois inaugurée en 2017, l’une des 360 de la région. © Ryan Horvath

50 000 euros pour s’installer dans un désert médical

Face à cette crise qui s’est aggravée au cours des quinze dernières années, l’Assurance Maladie accorde, depuis 2016, une aide de 50 000 euros aux médecins souhaitant s’installer dans un désert médical. Pour en bénéficier, les praticiens doivent s’engager à y exercer durant cinq ans, travailler sur place au moins deux jours et demi par semaine, s’impliquer dans le dispositif de permanence des soins ambulatoires (c’est-à-dire soigner la nuit, le week-end et les jours fériés) avec la possibilité d’accomplir une partie de leur activité dans un hôpital. Les communes mettent également la main à la poche. Parmi les réponses prometteuses, les maisons de santé qu’elles financent jusqu’à 60 % du coût de la construction. On en trouve plus de 2 200 en France, dont 360 en Bourgogne-Franche-Comté en 2023. Depuis son lancement en 2007, le dispositif des maisons de santé pluridisciplinaires rassemble des professionnels de santé médicaux, paramédicaux, médico-dentaires… Une approche qui vise à améliorer la qualité des soins en favorisant une meilleure coordination de la prise en charge au bénéfice du patient, mais aussi à convaincre les professionnels à s’installer dans ces déserts ruraux. « Ça fonctionne assez bien. Y compris dans les territoires ruraux, car ça permet d’attirer des jeunes médecins », estime le géographe Guillaume Chevillard. « Je pense que c’est une bonne solution car cela permet de s’entraider et l’on se sent un peu moins seul. Je me vois bien travailler plus tard dans ce type d’établissement », estime Ambre, étudiante en première année de médecine à l’université de Bourgogne. Un avis partagé par Ofélia, élève en deuxième année : « je trouve que c’est bien de concentrer les professionnels de santé au même endroit. C’est plus rassurant pour les jeunes médecins de travailler en équipe et on peut aussi mieux se coordonner. Personnellement, je ne vois pas de mauvais côté », avoue la jeune étudiante.

Si dans les centres de santé, les médecins sont les salariés d’une commune, dans les maisons de santé, ils exercent en tant que libéraux, même s’ils doivent verser un loyer aux collectivités locales. « Les maisons qui sont très subventionnées par les mairies, c’est bien. Cela facilite l’installation des médecins, mais ça ne suffit pas car on reste dépendant de la collectivité qui paie », prévient Patricia Lefébure, présidente du syndicat de la Fédération des médecins en France. « Et il y a des mairies qui ne veulent plus payer ou qui augmentent le loyer, et d’autres qui demandent finalement à récupérer les locaux pour autres choses. »

« Ce ne sont pas ces bourses qui vont attirer les médecins »

Pour cibler les jeunes praticiens, de plus en plus de mairies et de collectivités locales proposent de financer des bourses d’études, généralement à partir de la troisième année de médecine. En échange, ces étudiants s’engagent à s’installer pendant au moins cinq ans dans la commune, une fois leur cursus achevé. Cette aide qui peut s’élever à plusieurs centaines d’euros par mois, doit être remboursée si le futur médecin renonçait à s’établir. « Je trouve que c’est pas mal comme idée. Après, je pense que ça peut être compliqué de faire marche arrière, si on change entre temps d’avis », nuance Ofélia, étudiante en deuxième année de médecine à Dijon. « Si jamais le lieu ne me convient plus et qu’il n’est pas possible de partir, alors ça sera sans moi ». Pour ces futurs docteurs, c’est aussi le choix de la spécialité médicale qui n’intervient qu’en sixième année d’études qui peut dissuader de prendre ces bourses. « J’en connais beaucoup qui envisagent de se faire financer les études. C’est une bonne façon d’encourager les futurs médecins à venir s’installer dans les zones rurales. Si la commune me plaît, pourquoi pas. Mais comme je ne suis pas encore sûr vers quelle spécialité me diriger, je ne me suis pas trop encore posée la question », reconnaît Jacques, originaire de Dijon. Certaines spécialités, comme la chirurgie, impliquent nécessairement de travailler en ville.

Ces aides aux études allouées par les communes peuvent être cumulées avec celles des autres collectivités. Les communautés de communes comme celle du Châtillonnais en Côte-d’Or, proposent ainsi un soutien financier à hauteur de 700 euros par mois, de la troisième à la sixième année d’études de médecine. Mais le bilan reste faible : en quatre ans, seulement une étudiante en orthophonie a accepté de s’installer après avoir signé un contrat d’engagement. Aujourd’hui encore, la communauté de communes recherche cinq médecins. C’est aussi le cas des départements comme la Nièvre qui propose, depuis 2016, de verser une bourse mensuelle de 500 euros aux futurs médecins durant toute leur durée d’études. Là aussi, les résultats sont contrastés : si le département a attribué plus d’une cinquantaine de bourses d’engagement en 8 ans, seuls 18 étudiants diplômés se sont installés à ce jour. Même le dispositif mis en place par l’Agence Régionale de Santé (ARS) qui propose une somme de 1200 euros bruts par mois aux étudiants de Bourgogne-Franche-Comté n’a pas eu les effets recherchés. Sur la centaine d’étudiants ayant signé ce Contrat d’engagement de service public (CEP) en 2017, seuls 18 ont bien voulu s’implanter ensuite dans une zone sous-dotée de la région. « Ce n’est pas efficace, car les étudiants issus des milieux favorisés s’en fichent un peu de toucher une bourse d’études. Ce ne sont pas ces bourses qui vont attirer les médecins », s’agace Patricia Lefébure, présidente de la Fédération des Médecins de France.

L’attractivité des territoires, critère numéro un des étudiants en médecine

« Ce qui décourage les médecins à s’installer dans les zones rurales n’a rien à voir avec le financement. Le problème, c’est le territoire en lui-même », se désole Raphaël Dachicourt, médecin libéral et président du syndicat national des jeunes médecins ReAgjIr. Si 64 % des médecins se disent prêts à exercer dans un désert médical, selon un sondage réalisé par la Mutuelle d’assurance des professionnels de la santé en 2023, ils précisent qu’ils veulent y travailler temporairement. Le choix du lieu d’installation repose en fait sur plusieurs critères. « Cela dépend de l’attachement au territoire, la proximité familiale, l’existence de services publics, des transports, des écoles ou des crèches… », énumère le président du syndicat ReAgjIr. Or les territoires ruraux souffrent souvent d’isolement, du manque de transports ou d’infrastructures médicales à proximité. Dans ces zones sous-dotées, les médecins ont également moins l’opportunité d’évoluer dans leur carrière en se spécialisant, car il n’y a pas ou peu de centres de recherches ou de formations proches. Enfin, le climat joue un rôle important dans le choix d’implantation des étudiants en santé et des jeunes médecins. « Moi j’aimerais bien m’installer dans le sud-ouest ou dans n’importe quel endroit où il fait très beau en France », indique clairement Ofélia. L’avis est le même du côté d’Ambre, élève en première année de santé. « Je ne me vois pas m’installer en Bourgogne. J’aimerais bien m’installer dans une région que je ne connais pas, où il y a la mer et où il y a beaucoup d’activités de loisirs à faire », confie celle qui aspire à devenir kinésithérapeute. Les régions littorales et ensoleillées comme l’Occitanie ou la Provence attirent bien plus les professionnels de santé que les parties plus enclavées de Bourgogne-Franche-Comté.

Les cabines de téléconsultations, une initiative qui dérange

Outre les maisons de santé pluridisciplinaires, la téléconsultation émerge comme une alternative en plein essor. On compte désormais 5000 cabines de téléconsultations dans toute la France, installés dans les gares SNCF, les pharmacies ou les supermarchés. La région Bourgogne Franche-Comté dénombre aujourd’hui plus de 30 000 actes réalisés via cette technologie en 2021. Cet équipement mise sur la rapidité : le patient s’installe face à la borne, insère sa carte vitale puis appelle un médecin depuis un écran tactile. Au bout de quelques minutes, le praticien apparaît en vidéo et l’examen peut alors commencer. La personne souffrante peut se servir du thermomètre ou du stéthoscope connectés à la cabine pour aider le médecin à identifier sa pathologie et à poser un diagnostic. Quelques instants plus tard, une ordonnance est imprimée par la cabine que le patient peut emporter. Côté praticiens, « ça attire beaucoup de jeunes médecins. Ces derniers utilisent deux fois plus les téléconsultations par rapport à leurs confrères âgés de 65 ans et plus », constate la présidente du syndicat de la Fédération des médecins de France, Patricia Lefébure. Chez les étudiants en médecine, l’avis sur la téléconsultation reste toutefois mitigé. « Pour une maladie bénigne, ça peut être pas mal et ça peut aider à désengorger les urgences. Après, pour les cas les plus graves, les docteurs auront du mal à soigner à distance. Ça peut être même dangereux », s’inquiète Ambre, étudiante en première année de l’université de Bourgogne. Cette solution médicale est d’ailleurs très critiquée par les syndicats : « les téléconsultations sont trop rapides, avec 5-7 minutes en moyenne par patient. Et ça ne résout en rien le problème de l’accessibilité des soins. Ça permet juste d’avoir un avis immédiat pour une petite pathologie. On essaie de lutter contre ça », prévient Patricia Lefébure.