- 25 avril 2025
- Presse écrite
Euthanasie : souffrance, espoir et blocages politiques
Alors que des patients comme Claire et Laurent, que nous avons rencontrés, revendiquent le droit de choisir leur fin de vie afin d’échapper à des souffrances insupportables, la question de l’aide active à mourir continue de diviser la classe politique. Malgré une tentative d’adoption en 2024, le projet de loi demeure en suspens, pris dans un enchevêtrement d’enjeux électoraux et de considérations éthiques. Si la proposition du Premier ministre François Bayrou de scinder le texte en deux a suscité de vives inquiétudes, le texte est cependant de retour depuis avril à l’Assemblée nationale. Attendue par de nombreux citoyens, cette réforme pourrait être approuvée en mai par les députés.
L’aide active à mourir continue de diviser la classe politique, malgré une tentative d’adoption en 2024 pour diverses considérations. ©iStockphoto
Mais le sujet reste sensible et controversé en France. Le projet de loi sur la fin de vie, qui devait à la fois renforcer les soins palliatifs et encadrer l’aide active à mourir (suicide assisté et euthanasie), se heurte à une division politique majeure. Après les travaux d’une « convention citoyenne », de premières discussions sur ce projet ont eu lieu au Parlement au printemps 2024, avant d’être brutalement interrompues par la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin.
Une scission qui pose questions
Puis le débat a été relancé en janvier 2025, lorsque le Premier ministre François Bayrou a confirmé vouloir scinder ce projet pour distinguer « deux sujets », afin que chacun puisse voter différemment sur l’un et sur l’autre. Deux textes séparés, l’un sur les soins palliatifs et l’autre sur l’aide à mourir, ont effectivement été déposés à l’Assemblée début mars. Auteur de la proposition de loi d’origine sur l’aide à mourir, le député MoDem Olivier Falorni, a tenté de s’opposer à cette scission, comme 240 autres élus qui pointaient une manœuvre « dilatoire » visant à enterrer le projet. Les deux textes devraient cependant être soumis à un vote final le même jour, le 27 mai, ce qui devrait permettre d’écarter le risque d’une « obstruction », a convenu M. Falorni.
Scinder le texte en deux s’apparente à une concession aux opposants à l’aide à mourir, notamment certains responsables religieux et professionnels de santé, qui considèrent qu’il s’agit d’une « question de conscience » indépendante du développement des soins palliatifs.
Le débat sur l’aide à mourir a repris en janvier 2025 après que le Premier ministre François Bayrou a proposé de scinder le projet en deux. Cette décision a été contestée par le député Olivier Falorni, auteur de la proposition de loi, ainsi que par 240 élus. ©Unsplash
Les réticences des médecins
En attendant, le débat reste vif. Le 11 avril, les députés ont approuvé en commission la création d’un droit à l’aide à mourir, en élargissant les cas où la substance létale pourra être administrée par un soignant. Un vote vivement critiqué par le ministre de l’Intérieur, le très conservateur Bruno Retailleau : ce texte tellement « permissif » va « dans le très mauvais sens », a-t-il estimé dans une interview à LCI. « Demain, ce que je crains, c’est qu’il soit beaucoup plus facile de demander la mort que d’avoir des soins », a-t-il argumenté. Certaines personnes en souffrance extrême attendent en tout cas avec une forme d’impatience une solution pour mettre fin à des douleurs insupportables et préserver leur dignité.
Toutefois, cette proposition suscite encore des inquiétudes, notamment en raison des pressions sociales et économiques qui pourraient peser sur les plus vulnérables, comme les personnes âgées ou isolées. En confrontant protection de la vie et droits individuels, ce débat touche « à quelque chose qui tient (…) à la vie et au sens de la vie », observe le Premier ministre François Bayrou, dont la foi catholique pourrait expliquer la prudence sur ce dossier. De plus, le rôle des soignants dans la mise en œuvre de ces pratiques soulève des dilemmes éthiques complexes. Les médecins sont en fait déjà souvent confrontés à des demandes d’euthanasie, mais la plupart restent réticents à aborder ce sujet délicat. « C’est une question difficile pour nous, soignants. Personnellement, je suis opposée à l’aide à mourir, car nous avons prêté serment de préserver la vie », tranche la Dr Laila Farid, gériatre au centre hospitalier de Saint-Dizier.
Les soins palliatifs, une alternative ?
La question de l’aide à mourir est particulièrement sensible dans les centres spécialisés en soins palliatifs, où la plupart des soignants estiment que leur devoir est justement d’accompagner au mieux le malade en fin de vie, mais sans accélérer la mort. « Certains patients souffrent énormément, c’est un fait. Mais notre devoir est de préserver la vie, d’atténuer leurs douleurs et de les accompagner pour qu’ils puissent vivre le reste de leurs jours dans la dignité et la sérénité », résume la Dr Evelyne Micheli, spécialiste en gériatrie et en oncologie dans l’unité de soins palliatifs la Mirandière de Quetigny. Pratiquer l’euthanasie, dans de telles conditions, « ce n’est pas impossible, mais, personnellement, je ne sais pas comment l’envisager. C’est une question délicate et cruelle. Ce n’est pas le cœur de notre métier », estime la spécialiste.
Dans son établissement, une équipe pluridisciplinaire et des bénévoles accompagnent des malades en fin de vie – atteints de cancers, maladies neurologiques avancées, ou encore d’insuffisances cardiaques, respiratoires et rénales – tout en améliorant leur qualité de vie. Ce qui passe également par un soutien psychologique. Parmi les patients, « certains peuvent être très fatigués et ne pas pouvoir communiquer avec leur famille et les autres, ce qui nécessite souvent un soutien plus orienté vers les familles », observe Stéphanie, 38 ans, psychologue à la Mirandière. L’enjeu est d’aider les patients à vivre en leur offrant la meilleure qualité de vie possible malgré leur maladie incurable, tout en acceptant la progression de celle-ci et en atténuant ses effets négatifs sur leur quotidien, résume la Dre Micheli.
Choisir sa mort
« Des soins palliatifs bien menés apportent énormément de confort », assure Pascale, infirmière bénévole dans cet établissement. « Je ne suis pas contre l’euthanasie dans des cas extrêmes, mais je pense qu’il est essentiel d’améliorer l’accès aux soins palliatifs partout en France », souligne cette soignante. Pour les patients en demande d’une aide à mourir, cependant, le temps presse. Laurent craint ainsi que son corps ne le trahisse à mesure que sa maladie s’aggrave. Il se demande pourquoi les règles concernant la fin de vie restent si strictes en France, alors qu’elles sont plus souples dans d’autres pays européens comme la Suisse, la Belgique ou les Pays-Bas, ou encore au Québec. « J’aimerais que l’euthanasie soit autorisée en France pour éviter d’imposer à ma femme la charge de m’accompagner en Suisse ou en Belgique. Chaque personne mérite de vivre et de mourir dignement. Je ne veux pas vivre, même un seul jour, avec des douleurs insupportables ou sans mémoire », ajoute le quinquagénaire. Pour les défenseurs d’une aide légale à mourir, c’est une question de liberté de choix. « Je n’ai pas choisi ma naissance, alors je veux pouvoir choisir ma mort ! Je ne veux pas finir dans la souffrance si j’ai une maladie grave », argumente Christine, 65 ans, habitante de Dijon et adhérente depuis 2020 de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), qui compte plus de 600 militants.
Le 11 avril, les députés ont approuvé en commission la création d’un droit à l’aide à mourir, en élargissant les cas où la substance létale pourra être administrée par un soignant. ©iStockphoto
Pour l’heure, la prudence législative demeure. Peut-être parce que certains élus « craignent de contrarier une partie de leurs électeurs », analyse Emmanuelle Duprez, 65 ans, militant de longue date pour le droit à mourir dans la dignité. Ancien infirmier en soins palliatifs, il a été confronté à de nombreuses situations où des patients, en grande souffrance, exprimaient leur souhait d’abréger leur vie. « C’est cette impuissance face à leur détresse qui m’a poussé à m’engager, pour avancer, ce sujet exige des politiques suffisamment courageux pour dépasser ces résistances », confie-t-il.
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