- 25 AVRIL 2024
- Presse écrite
Des fourneaux aux réseaux : le chef Qistoh à la poursuite d’un nouvel eldorado
— Publié le 25/04/2024, modifié le 02/05/2024
Lorsqu’il décroche son téléphone pour notre interview, Quentin, 26 ans, originaire du Val-d’Oise, est dans sa cuisine. Cette pièce, il la connaît bien puisqu’il y passe la majeure partie de son temps depuis l’âge de 16 ans. « Je n’aimais pas trop l’école, mon oncle était dans la restauration et j’ai fait mon stage de troisième dans son restaurant », se souvient-il.
Quentin Farez alias Qistoh sur les réseaux sociaux. © Quentin Farez
Sa passion date de cette première expérience, c’est le coup de foudre pour le métier. Il faut dire que chez les Farez, la cuisine, c’est aussi une histoire de famille. Son oncle, son cousin et son frère sont cuisiniers. Quentin fait son apprentissage à Ivry-sur-Seine dans une antenne du ministère des Finances puis enchaîne les expériences. D’abord au I love Paris by Guy Martin à Roissy-Charles-de-Gaulle, une table gastronomique élue meilleur restaurant aéroportuaire du monde en 2016, où il rencontre Andreja Jankovic, commis de cuisine dans l’établissement.
Rapidement, les deux cuisiniers nouent une relation très forte où Andreja endosse le rôle du grand frère. « Quand Quentin est arrivé, il était passionné, mais il manquait de caractère. J’ai essayé de faire de lui quelqu’un de plus fort. Il était un peu trop souriant et naïf pour ce monde dur ». Andreja et Quentin poursuivent pendant trois ans leur aventure commune, de 2018 à 2021, au Teppan de Thierry Marx, toujours à Roissy, où Quentin se forme en tant que demi chef de partie. Il est ensuite embauché au Il Maestro à Écouen en juillet 2021 comme second avant d’accéder rapidement au titre de chef.
Une promotion synonyme de burn-out, car Quentin se retrouve seul en cuisine avec pour seule aide, son frère Julien, comme apprenti. « Il avait beaucoup de pression, et il était très exigeant. J’étais la seule épaule sur laquelle il pouvait se reposer », témoigne ce dernier. Ensemble, ils font deux saisons, mais conscient que sa santé mentale se dégrade, Quentin décide de quitter II Maestro : « j’étais méchant, je commençais à devenir une personne que je n’aimais pas », se remémore-t-il.
Début sur les réseaux
Le cuisinier souhaite prendre une pause. « Cela faisait neuf ans que je travaillais non-stop, j’ai découvert ce que ça fait d’avoir des week-ends. J’ai même repris le basket, une passion quand j’étais enfant. » Mais le break est de courte durée, Quentin tombe sur une annonce de Chefclub, célèbre entreprise de création de contenus vidéo food sur Snapchat qui recherche un cuisinier vidéaste.
Il saute sur l’occasion pour découvrir ce milieu. « J’ai toujours voulu me lancer sur les réseaux, c’était l’occasion de mettre un pied dedans. J’ai vu Chefclub comme une bouée de sauvetage. » Après quatre jours de test, il est embauché. Mais la veille de tourner sa première vidéo chez Chefclub, il se rompt le tendon d’Achille au basket. Ce qui aurait pu compromettre cette opportunité professionnelle, s’avère contre toute attente bénéfique : « Chefclub a été plutôt compréhensif. Ils m’ont laissé me rétablir tranquillement à domicile pendant deux mois. »
Durant ces deux mois de convalescence, il scrute les contenus food sur internet pour s’en inspirer et partage des vidéos sur TikTok : « J’ai commencé à commander mes ingrédients sur internet, et m’entraîner à me filmer. Je me disais que lorsque je serais rétabli, Chefclub verra que j’ai progressé et ne pourra pas me virer. » Après s’être remis de sa blessure, la collaboration avec Chefclub dure six mois.
« En moins d’un an, c'est parti comme un coup de feu ! »
Quentin Farez, alias Qistoh
Quentin s’inspire de la “méthode Squeezie”, célèbre youtubeur aux 19 millions d’abonnés : faire une vidéo par jour pendant un an pour inonder un réseau social. Après des débuts timides, c’est le soir de la finale France-Argentine, en décembre 2022, que tout bascule.
Il poste une vidéo dans laquelle il cuisine du foie gras au micro-ondes. Les internautes le lynchent : « les puristes détestent et j’ai reçu des critiques en rapport avec la maltraitance animale. En voyant les commentaires, je me suis couché en me disant que ma carrière était foutue avant même d’avoir commencé ». C’est tout l’inverse, sa vidéo crée le buzz. Le lendemain, elle dépasse les 800 000 vues et il gagne 7 000 abonnés sur TikTok.
Le compte TikTok de Qistoh et quelques unes de ses vidéos les plus vues. @qistoh
« Quand une vidéo marche, c’est le début de la réussite, et c’est ce qui s’est passé. » La recette prend, ses vidéos rencontrent de plus en plus de succès : « la vidéo du butternut gratiné a fait plus de 10 millions de vues. » Quentin attribue son succès au manque de contenu food sur internet dans lesquels de grands chefs font la cuisine depuis chez eux. Lui a pour devise de la rendre accessible : « Cédric Grolet, c’est joli hein ?! Mais personne ne sait comment il fait ses pâtisseries. Il n’y a pas assez de professionnels sur les réseaux qui montrent des recettes faciles. Moi, je vous montre comment on fait des plats simples, c’est stylé, bon, mangez et kiffez ! »
Plutôt que de se filmer face caméra, le cuisinier montre son plan de travail en plan serré, façon “tuto”. Ce qui guide Quentin, c’est l’envie de transmettre sa passion. « Déjà au Teppan, il partageait son savoir, que ce soit avec les clients ou les collègues. Internet lui permet de toucher plus de monde », confirme son ami Andreja Jankovic.
Selon son frère Julien, « c’est pour ça qu’il marche sur les réseaux, il n’hésite pas à divulguer les secrets d’un cuistot comme la technique du limoner, qu’il m’a enseigné [un procédé pour enlever la viscosité des aliments, ndlr]. » Recettes gourmandes et saines, à l’esthétique simple ou travaillée, le créateur de contenu dit en proposer pour tous les goûts et tous les niveaux, en utilisant des produits de saison.
La menace d’un nouveau burn-out
Son travail acharné lui permet de cumuler environ 395 000 abonnés sur TikTok, 159 000 sur YouTube et 350 000 sur Instagram. « En moins d’un an, c’est parti comme un coup de feu ! », s’étonne encore Quentin qui dit gagner beaucoup mieux sa vie en tant que cuisinier vidéaste qu’en tant que simple chef. « Quand j’étais au Il Maestro, je gagnais 2 500 euros net dans les meilleurs mois. » Grâce aux réseaux sociaux, son chiffre d’affaires peut approcher les 7 000 euros si on cumule les plateformes : 3 500 euros sur Facebook, 2 200 euros sur TikTok et 700 euros grâce à YouTube. En collaborant avec des marques comme Lustucru ou Kenwood qui sponsorisent ses vidéos, ses recettes globales peuvent grimper jusqu’à 10 000 euros. Toutefois, ces rentrées d’argent restent soumises aux audiences et aux changements de tarifs imposés par les plateformes, et sont donc instables : « en novembre 2023, j’ai touché 8 000 euros, et en mars 2024 seulement 2 000 euros. »
Pâtes à l’ail noir réalisées par Qistoh en octobre 2023. Vidéo visionnée par 200 000 personnes sur TikTok. © Quentin Farez
C’est pourquoi Quentin a gardé un poste de sous-chef en cuisine le midi dans le restaurant d’entreprises de Google à Paris. Mais le surmenage menace à nouveau. « Je me lève à 5 h 30, je fais le montage de ma prochaine vidéo dans le métro le matin, je vais travailler dans la cantine de Google, je rentre et je tourne une nouvelle vidéo le soir. C’est dur aussi à vivre pour les gens qui travaillent avec moi. » En plus du risque d’un nouveau burn-out, c’est aussi la difficulté à se renouveler qui inquiète le cuisinier. « Je trouve que mon contenu est devenu un peu redondant. Je ne progresse plus au niveau de la vidéo. Je vais me calmer ! »
Horizon 2024 : partenariats, potes et pizzas
Depuis début 2024, Quentin a cessé de publier au quotidien et s’essaye à de nouveaux concepts où il se montre davantage à l’image pour renforcer sa popularité. « J’ai fait les sélections de l’émission Top Chef. Là-bas, je me suis rendu compte que tout le monde connaissait mes vidéos, mais pas mon visage. Depuis, je collabore avec d’autres potes créateurs, ça permet à nos communautés de se croiser. »
L’objectif est de pouvoir se passer bientôt de son emploi chez Google. Pour cela, le cuisinier mise sur l’augmentation des revenus tirés des contenus sponsorisés par les marques. Depuis un mois, Qistoh a pris un agent qui négocie pour lui des partenariats, toujours dans l’optique d’assurer des rentrées régulières d’argent et de pérenniser son activité. Avec des résultats prometteurs. Cette collaboration lui a déjà rapporté 20 000 euros de contrats en un mois et demi, selon le cuisinier.
Tartine Comté saumon et Bresaola raclette cumulant 652 000 vues sur TikTok. © Quentin Farez
Sa notoriété grandissante lui permet aussi de diversifier ses activités, Quentin publiera cet été un livre de 56 recettes inspirées de ses vidéos. Avant de raccrocher son téléphone, Quentin nous confie un de ses rêves les plus fous : ouvrir sa propre chaîne de fast-food en région parisienne sur le thème de la pizza. À la carte, des recettes revisitées : « les purs italiens ne viendront pas manger, je vais me lâcher, si j’ai envie de faire une pizza au bœuf bourguignon, je le ferai ! » fantasme-t-il. Publications sur les réseaux sociaux, création d’une chaîne de restaurants… Qistoh cherche avant tout la recette d’un succès durable qui lui permettra d’abandonner le rôle de chef cuistot cantonné chaque jour aux fourneaux. Et de vivre une vie d’entrepreneur : « Le salariat, ce n’est plus fait pour moi ! »
- Alexandre Da Cunha et Lucas Chelminiak
Découvrez nos portfolios