- 8 juillet 2025
- Presse écrite
Faire germer une conscience écologique :
le défi des lycées agricoles
Face aux défis climatiques et environnementaux, l’enseignement agricole s’adapte. Au lycée agricole de Fontaines (Saône-et-Loire), l’agroécologie, qui combine les principes écologiques et les savoirs traditionnels, s’impose dans les programmes pour préparer les élèves aux réalités du terrain. Si cette transition fait évoluer les pratiques, elle se heurte aussi à des résistances.
Au coeur de l’exploitation de Cyril Blin à Montagny-lès-Beaune, en Côte-d’Or © Manon Tautou
« Mon premier objectif, c’est de faire tourner mon entreprise correctement, avant, peut-être, d’intégrer des outils biologiques », confie Lily, élève en baccalauréat professionnel au lycée agricole de Fontaines, les bottes remplies de terre. Au milieu des champs, la jeune femme résume, à sa façon, le dilemme qui hante nombre de ses camarades : entre viabilité économique et impératifs environnementaux, le choix n’est pas si simple. « Si je ne fais pas de marge, je ne pourrai pas passer au bio. Ça coûte cher, ça prend du temps, et on ne sait pas toujours si ça va marcher », renchérit-elle.
En mars dernier, Lily et une dizaine de ses camarades ont quitté les salles de classe pour une immersion d’une journée chez Cyril Blin, agriculteur à Montagny-lès-Beaune (Côte-d’Or). Depuis 2018, cet agriculteur engagé cultive 240 hectares entièrement convertis à l’agriculture biologique. Ses champs sont certifiés par le label AB garantissant un mode de production respectueux de l’environnement et du bien-être animal. Ici, pas d’odeur de pesticides. Les champs ne sont pas uniformes, les cultures pas toujours parfaites : sans traitements chimiques, certaines zones poussent mieux que d’autres. « Il y a du blé, de l’orge, des pois… L’idée, c’est de diversifier pour avoir du rendement toute l’année, tout en préservant les sols », étaie-t-il. Varier les cultures permet aussi de limiter les maladies et de répartir les risques économiques.
En immersion avec des élèves du lycée agricole de Fontaines dans l’exploitation de Cyril Blin © Manon Tautou
Cette immersion, organisée dans le cadre d’une semaine dédiée à l’agriculture durable, leur a permis de découvrir les différents outils utilisés par l’exploitant, notamment le désherbeur mécanique, un imposant engin d’acier qui remplace les herbicides (en passant plusieurs fois sur les rangs) pour éliminer les mauvaises herbes. La visite se poursuit à travers le village et ses environs. Les élèves observent les parcelles, questionnent, commentent. Mais tous ne sont pas convaincus. « Il y a trop de normes. Il faut désherber cinq fois, alors qu’en conventionnel, on passe un coup de traitement et c’est fini », lâche un élève sceptique. Le ton de ce jeune homme est direct, presque résigné.
« Depuis 2015, il y a eu une véritable volonté d’adapter les formations agricoles à la réalité du terrain »
« Nous savons qu’en bac pro, les élèves sont peu tournés vers le bio », confirme Christophe Huard, professeur d’agronomie.
C’est un héritage. Les parents ont été formés dans un schéma productiviste, et les enfants défendent souvent ces mêmes idées. « Pour eux, produire beaucoup, rapidement, avec le moins de contraintes possible, c’est encore la norme », détaille le professeur.
Pourtant, la réalité les rattrape. L’agriculture française, responsable de 19% des émissions de gaz à effet de serre en 2022, selon le Commissariat général au développement durable, est à la fois actrice et victime du changement climatique. Sécheresses, pertes de rendement, inondations, gel tardif, chute de la biodiversité… autant de défis qui poussent les lycées à repenser leur pédagogie. « Depuis 2015, les programmes ont été remaniés pour intégrer ces problématiques », précise Thibault Renaud, éleveur bovin, ancien élève du lycée, et syndiqué chez les Jeunes Agriculteurs. Désormais, les élèves étudient la gestion durable des ressources, les couverts végétaux, la rotation des cultures, ou encore l’agroforesterie. « Il faut leur montrer d’autres manières de faire, des outils qu’ils pourraient faire entrer dans leur pratique conventionnelle », ajoute Christophe Huard.
Mais changer les mentalités prend du temps. Victor, élève en alternance chez un exploitant bio, n’envisage pas de suivre cette voie. « L’exploitation de mes parents est en conventionnel, j’ai grandi avec ça, et j’ai l’intention de continuer dans cette direction », affirme-t-il sans hésiter. Grand, brun, mince, avec un accent bien marqué, Victor incarne une nouvelle génération encore attachée aux modèles familiaux.
« Nous, on trouve que c’est beaucoup de contraintes pour pas grand-chose »
À Fontaines, le lycée bénéficie pourtant d’une exploitation grandeur nature. Une étable, des veaux, des génisses, un poulailler, et des champs à perte de vue. Des initiatives agroécologiques ont été mises en place, comme la replantation de haies dans les pâturages des vaches laitières. Dans les poulaillers, un système de récupération des eaux de pluie a été installé. Une formation dédiée à la gestion des parcelles agroforestières a même été lancée. Pourtant, chez les élèves, la priorité reste la rentabilité. « L’écologie, c’est vu comme un frein », confie Christophe Huard. « Les jeunes nous disent : « oui, je pollue, mais laissez-moi produire » ». Lors de la visite chez Cyril Blin, c’est encore la question du rendement qui focalise l’attention. « Dans ces cultures, il y a des trous. Le bio, ça fait baisser les rendements », note un lycéen. Alors, l’enseignant tente de renverser la perspective : « on essaie de réfléchir avec eux, est-ce qu’on pourrait trouver une solution pour faire ton métier, produire, et puis avoir un impact moindre sur les ressources naturelles. Et vu comme ça, ils sont partants pour réfléchir », explique de nouveau le professeur Christophe Huard. Par exemple, les étudiants travaillent sur des rotations de culture plus longues ou réfléchissent à l’intégration d’arbres ou d’arbustes dans les cultures pour favoriser la biodiversité.
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Un veau de quelques semaines né au sein même de l’exploitation du lycée agricole de Fontaines © Manon Tautou
Pour les futurs exploitants, les freins techniques restent nombreux : difficultés à gérer les maladies sans produits chimiques, coût des équipements bio, rigidité des règles pour se convertir en bio… « Et puis, l’élevage bio n’est pas vraiment mis en valeur aujourd’hui. Du coup, ça ne nous pousse pas à y aller », intervient un autre de ses camarades. Selon eux, les produits issus de l’élevage biologique ne bénéficient pas suffisamment de reconnaissance ni d’avantages économiques (comme un meilleur prix, un soutien spécifique ou une demande plus forte sur le marché).
Entre choix écologiques et réalités économiques
À quelques kilomètres de là, à Saint-Martin-du-Tartre, dans une étable encore tiède, un veau prend ses premiers souffles. Benoît Pingeot, 34 ans et ancien élève du lycée agricole de Fontaines, a pourtant osé le pari. Installé depuis 2013 avec ses parents et son frère, il a progressivement transformé l’exploitation familiale. Leur entreprise repose sur trois activités principales : l’élevage bovin pour la viande, la production céréalière et la viticulture. Depuis 2019, Benoît a introduit plusieurs pratiques innovantes pour optimiser leur exploitation. « On a remplacé l’ensilage de maïs, sensible aux aléas climatiques et coûteux, par de la luzerne, une plante plus résistante à la sécheresse et qui pousse toute l’année », développe-t-il. Il pratique en parallèle le pâturage tournant, qui consiste à mettre en place une rotation des troupeaux entre différentes parcelles. Cela garantit un accès constant à de l’herbe pour les animaux. Il utilise aussi du bois déchiqueté, issu des haies et arbustes taillés, comme litière durable. Chez lui, cultures et élevage fonctionnent en symbiose : les céréales nourrissent les vaches, le fumier fertilise les champs. « Sans cette double complémentarité, nous ne pourrions pas envisager une telle transition ». Toutes ces nouvelles pratiques, le jeune agriculteur ne les a pas apprises à l’école. « À mon époque, on ne prenait pas encore en compte le changement climatique, les programmes n’avaient pas encore évolué », confie-t-il.
Sur son exploitation, Benoît Pingeot remplace l’ensilage de maïs par de la luzerne et pratique le pâturage tournant afin d’assurer une gestion plus durable des ressources © Manon Tautou
L’agriculteur ne cache pas que la conversion au bio, certifié par Bureau Veritas, a aussi été motivée par des raisons économiques. « Nous faisions déjà beaucoup d’efforts pour adopter une agriculture responsable, mais ces efforts n’étaient pas valorisés. En passant au bio, ils le sont ». Aujourd’hui, ses produits accèdent à des marchés plus rémunérateurs, et l’image de l’exploitation s’est améliorée. « Mais ça reste fragile », reconnaît-il. La guerre en Ukraine a bouleversé les prix. Le mardi 20 mai 2025, le ministère de l’Agriculture a annoncé à l’Agence Bio qui est responsable du développement et de l’organisation du secteur biologique, une réduction importante de son budget. Plus précisément, le gouvernement envisage de supprimer 5 millions d’euros consacrés à la communication de l’Agence, ainsi que près de 10 millions d’euros destinés au soutien de projets pour l’année 2025. Cette décision a été vivement critiquée par l’Agence Bio, qui estime que le secteur biologique est ainsi « abandonné ». Et le 1er juillet, la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) a dénoncé la décision gouvernementale d’affecter des aides initialement prévues pour le bio, à des cultures indépendamment du mode de production.
Cela paraît d’autant plus contradictoire que le Plan stratégique national (PSN) de la PAC, qui guide la politique agricole française, fixe un objectif de 18% de surface agricole utile (SAU) en bio d’ici 2027, contre 10% effectives aujourd’hui. Et qu’elles ont même reculé depuis deux ans, selon l’agence Bio. « Aujourd’hui, certains envisagent un retour en arrière vers des pratiques conventionnelles, et je les comprends », reconnaît Benoît. « Le rendement, c’est ce qui fait vivre une ferme. Il faut aussi savoir l’assumer ». Entre obstacles culturels, reproduction sociale, incertitudes économiques et transformation pédagogique, les lycées agricoles tâtonnent sur la voie de la transition. Pour que les gestes changent, encore faut-il que les mentalités suivent… et que l’État assume ses ambitions.
Enseignement viticole : quelle place pour le bio ?
En Bourgogne, l’enseignement viticole s’adapte aussi. Ce secteur d’activité est, lui aussi, loin d’être ménagé par les évolutions environnementales. « La vigne est particulièrement impactée par le climat, alors on ne peut pas passer à côté », constate Christine Rousset, enseignante au lycée viticole de Beaune (Côte-d’Or). Avancement des dates de vendanges, gel, grêle… Les cours qu’elle dispense, axés sur la production du raisin, « sont obligés de coller à la réalité du terrain et aux évolutions réglementaires et climatiques ». Selon elle, ses élèves en BTS (Brevet de technicien supérieur) ou au CFA (Centre de formation d’apprentis), sont réceptifs et constatent d’eux-mêmes la nécessité d’ajuster les pratiques sur de nouvelles façons de produire.
« Globalement, la viticulture est plus tournée vers le bio que l’agriculture et l’élevage », note Christine Rousset. Cette tendance s’explique, entre autres, par la nécessité des domaines à soigner leur image de marque. En 2020, 26% de la surface viticole de la Côte-d’Or était certifiée bio (un chiffre qui ne fait qu’augmenter depuis 2007), contre 10% en Saône-et-Loire, selon l’Observatoire régional de l’agriculture biologique. À titre de comparaison, Bordeaux ou Champagne accusent du retard, avec environ 15% de surfaces en bio. « Aujourd’hui, on ne peut pas être un gros domaine et ne pas être en bio, ajoute-t-elle, d’autant que cette certification rend les formalités d’exportation beaucoup plus simples ». L’image, mais aussi les facilités d’exportation, poussent les exploitants à franchir le pas. Parmi les domaines qui accueillent les apprentis du CFA, une majorité sont certifiés bio, une tendance qui se répercute inévitablement sur l’intérêt des élèves pour ce système de culture et leurs pratiques futures.
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