- 2 MAI 2024
- Presse écrite
L’accueil familial, une alternative trop rare à la perte d'autonomie
1,3 million de personnes âgées de 60 ans ou plus sont en perte d’autonomie à leur domicile en 2021, d’après l’Insee. L’accueil familial adulte qui permet à une personne âgée ou handicapée d’être hébergée par une personne agrémentée, est présentée comme une solution à l’accompagnement à domicile. Mais avec moins de 10 000 accueillants en France, les places se font rares, et plus encore en Bourgogne, malgré l’engagement des familles qui nous ont ouvert leurs portes.
Il est 10h15 dans la petite commune d’Echalot, au nord de la Côte-d’Or. Dans une maison en pierre typique du Châtillonnais, un bol et du chocolat en poudre attendent Laurent sur la table de la salle à manger. Tous les matins, c’est le même rituel : Albert Gentils et sa femme, Aurélie, tous deux accueillants, sont levés dès 8 heures pour dresser la table du petit-déjeuner. À 10 heures, Laurent débarque tout sourire dans la salle à manger. « Dis donc, tu as la marque de l’oreiller, comment ça se fait ? », le taquine Albert en rigolant. Les deux hommes partagent de nombreux moments de complicité depuis que Laurent s’est installé chez Albert Gentils il y a plus de 20 ans. Ce dernier fait partie des 8 400 accueillants familiaux de l’hexagone. Leur travail : offrir le gîte et le couvert à des personnes âgées ou handicapées, faire des activités et prendre en charge les soins médicaux, par le biais d’un contrat de gré à gré, négocié entre les deux parties.
L’accueil familial adulte permet à une personne en perte d’autonomie de continuer à vivre “comme à la maison” au sein d’un foyer agréé par un Conseil départemental. Entre résider en établissement collectif ou rester seul à domicile, le choix de l’accueil familial s’offre comme une possibilité supplémentaire pour les personnes âgées ou handicapées. Depuis janvier 2016, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, confie aux conseils départementaux la mission d’assurer cette prise en charge, dans le but d’améliorer l’accompagnement à domicile et de prévenir la perte d’autonomie. En Côte-d’Or, un budget d’environ un million d’euros est alloué à l’accueil familial adulte, et une équipe « composée d’une psychologue, de deux travailleurs médico-sociaux et d’un agent administratif est dédiée à ce système », détaille Sylvie Valcke, responsable de l’accueil familial au Conseil départemental. La Côte-d’Or devrait connaître la plus forte augmentation de personnes âgées dépendantes de la région : +25 % d’ici 2030, d’après les prévisions de l’Insee, contre +20 % pour l’ensemble de la Bourgogne. Au niveau national, l’augmentation serait encore plus importante avec +26 %, mais la région resterait tout de même parmi les plus âgées de France.
Comme une véritable vie de famille
À Echalot, les journées s’étirent au rythme des différentes activités : ramasser des pissenlits, jouer à des jeux de sociétés, aider à retaper des gîtes… Laurent ne rechigne pas à donner un coup de main à Albert et Aurélie pour faire le ménage ou débarrasser la vaisselle. Lilian, le plus matinal des trois accueillis, aime quant à lui passer du temps dans le cabanon dehors et rentrer le bois. Fraîchement arrivé depuis cinq mois au sein du foyer, le troisième résident qui s’appelle aussi Laurent, possède de nombreux CD qu’il écoute tous les soirs dans sa chambre avant d’aller se coucher. Le programme, chaque jour différent, est plutôt bien rempli pour ces trois accueillis. « On va faire des balades aussi. Lilian il ne nous attend pas, il marche vite », raconte Laurent, tout sourire. Les pensionnaires partagent tous les moments de vie du couple. Si Albert et Aurélie sont invités chez des amis, pas question d’y aller sans eux, « ils font partie de la famille, ce sont nos petiots, confie Albert. On a toujours eu l’habitude d’aller au théâtre. Il faut les entendre quand ils rient ! ».
« Avec un seul accueilli, ce n’est pas possible de vivre financièrement. Avec deux, on tient l'équilibre. Avec trois, on y arrive bien. Mais on ne fait pas de grandes sorties non plus. »
Albert Gentils, accueillant familial en Côte-d’Or
Cet ancien détective et apiculteur souhaitait se rendre utile pour des personnes ayant besoin d’aide et « le côté humain, c’est ce qui me plaît le plus. Chez nous, il y a vraiment un esprit de famille ». En 2002, il se lance dans cette activité : « Je m’occupais gratuitement de mon papa tous les midis, et d’un autre habitant du village que j’invitais à manger, donc pourquoi ne pas le faire pour gagner ma croûte ? ». Il peut héberger jusqu’à trois résidants, le maximum autorisé par foyer. Depuis ses débuts, l’homme aujourd’hui âgé de 72 ans s’est occupé de onze personnes, qu’elles soient âgées ou bien classées handicapées. Aujourd’hui, avec sa femme également accueillante, le couple héberge donc Laurent, 63 ans, Lilian, 59 ans, et Laurent, 52 ans.
Un statut précaire peu attractif
L’accueil familial se présente comme une alternative convaincante au maintien à domicile et souvent moins chère que l’Ehpad pour le résident. Mais le statut précaire de cette profession freine son développement d’après ceux qui s’y consacrent. Un accueillant familial n’est pas reconnu par le droit du travail. Non salarié, il cotise à la retraite, mais n’a pas de garantie d’emploi et ne touche pas le chômage. Même si son statut lui permet de toucher l’Allocation Personnalisée au Logement (APL), sa rémunération dépend uniquement de la présence de résidents dans son foyer et elle est fixée par la loi, sans négociation possible : environ 1 250 euros mensuels par personne accueillie, donc 3 750 euros quand les trois places sont occupées chez Albert et Aurélie. Une somme qui peut paraître confortable, mais les frais sont parfois élevés si l’on en croit les deux hébergeurs : « Avec un seul accueilli, ce n’est pas possible de vivre financièrement, c’est seulement un complément. Avec deux, on tient l’équilibre. Avec trois, on y arrive bien. Mais on n’est pas exigeants, on ne fait pas de grandes sorties non plus, juste de bons repas entre amis », reconnaît Albert.
Plus au sud en Isère, au pied du plateau de Chambaran, à quelques kilomètres de Grenoble, Hélène Charotte exerce le métier d’accueillante familiale depuis 2020. Sa mère, touchée par l’Alzheimer, s’est elle-même retrouvée en accueil familial et Hélène Charotte a eu envie d’héberger à son tour deux résidents : « Le jour où je n’ai plus d’accueillis, je pleure. Je suis contente de ce métier malgré son statut particulier et même si c’est un peu dur de devoir s’occuper de quelqu’un 24h/24h. Il faut être tout le temps présent. » Un rythme de travail qui « n’est plus dans l’air du temps pour les jeunes générations », selon Bruno Ponte, vice-président de France Accueil Familial, une association qui aide les personnes à chercher un accueil. « Maintenant, les gens s’orientent plus sur des semaines de quatre jours que de sept jours où l’on travaille à temps complet. Être accueillant, c’est un choix de vie ! »
Chez Albert et Aurélie, les trois accueillis ont chacun leur chambre avec une salle de bain privative. Tous les jours, ils passent le balai dans leur chambre. © Laurie Chaigne
En France, les familles d’accueil sont nombreuses à évoquer leur précarité. « Cela peut freiner un certain nombre de gens qui ont besoin de revenus réguliers », observe Emmanuelle Coint, première vice-présidente du Conseil départemental de Côte-d’Or en charge de la commission des solidarités, qui admet que le statut est « peu sécurisant. L’accueilli embauche la personne d’accueil. S’il y a un désaccord, si la personne rompt le contrat, ou en cas de décès, l’accueillant se retrouve sans résident et donc sans rémunération. » D’après les chiffres du Conseil départemental, on compte 92 personnes accueillies pour 62 familles d’accueil sur le territoire côte-d’orien, là où l’Isère, le département où vit Hélène Charotte, en compte 150. Parmi les mieux lotis, certes plus peuplés, on retrouve les départements des Hauts-de-France qui en ont parfois jusqu’à 500.
Albert Gentils se désole des chiffres en baisse dans son département comparé aux « 120 familles d’accueil adulte il y a 22 ans ». Une diminution également visible au niveau national : on recensait près de 9 700 familles d’accueil en 2013 contre moins de 8 500 en 2022. Cette situation s’explique, selon l’accueillant d’Echalot, par le manque de volonté de certains conseils départementaux à développer ce mode d’hébergement. À ses débuts en tant qu’accueillant familial, il fonde même l’association Familles d’accueil Tous ensemble, en vue d’améliorer les statuts et de faire de la promotion de cette formule de logement. « Le Conseil départemental nous a dit qu’il n’y avait pas besoin de faire de la publicité puisqu’on n’avait pas de demande, alors que c’était faux, se lamente-t-il. Maintenant, ils m’appellent au secours pour faire la promotion. »
Un manque d’accueillants familiaux à l’échelle nationale
Du côté du Conseil départemental, Emmanuelle Coint reconnaît en effet un « nombre insuffisant de candidats à l’agrément pour assurer le renouvellement ». C’est aussi la hausse de la moyenne d’âge des familles d’accueil qui est pointée comme un frein supplémentaire à son expansion, ce qui n’est pas propre à la Côte-d’Or. Bruno Ponte, de France Accueil Familial, s’accorde sur ce point : « il n’y a pas assez d’accueillants en France, sachant que sur les 8 400 actuels, environ 40 % vont atteindre l’âge de la retraite d’ici deux ou trois ans. » Outre le manque de professionnels, il évoque également les difficultés liées à la recherche de remplaçants. « On est parfois obligé de trouver des remplaçants pour qu’il y ait toujours quelqu’un à la maison pour s’occuper des résidents, on ne peut pas les laisser seuls. Pourtant depuis la Covid, il est de plus en plus difficile d’en trouver. »
La perspective est d’autant plus inquiétante que le nombre de foyers est déjà insuffisant par rapport à la demande d’accueil familial, et alors qu’aucun diplôme n’est requis en dehors des procédures auprès du Conseil départemental. Mais à l’échelle de la Côte-d’Or, la vice-présidente aux Solidarités relativise l’engouement pour ce mode d’hébergement : « le département n’est pas dans la promotion de l’accueil familial, car ce n’est pas la demande première des gens. Il y a une amélioration de l’accompagnement à domicile de l’autonomie et le développement de l’habitat inclusif [habitat regroupé avec plusieurs personnes, ndlr] qui réduit la demande de ce type d’accueil familial », estime Emmanuelle Coint. Difficile de savoir si ce n’est pas plutôt le manque d’information disponible sur cette alternative qui en limite la popularité.
Si les Conseils départementaux sont bien chargés de collecter les demandes d’hébergement, des groupes Facebook comme “Familles d’accueil pour personnes âgées et en situation de handicap” qui affiche 1 600 membres, se sont développés pour répondre aux questions et publier des annonces. L’association de Bruno Ponte reçoit également de nombreuses demandes : « je fais de la mise en relation entre des familles qui sont en recherche et les places disponibles en famille d’accueil : cela aboutit à près de 90 placements par an ».
« Ils m’aident en coupant les légumes ou en mettant le couvert »
À Échalot, le soir venu, toute la maisonnée se réunit autour de la table. « Quand je prépare le dîner, ils m’aident en coupant les légumes ou en mettant le couvert », raconte Aurélie Gentils, l’épouse d’Albert arrivée en France depuis 2006 en provenance de Madagascar. Avant le coucher, chacun vaque à ses occupations. « Laurent reste avec nous jusqu’au début du film, mais il ne le regarde pas, c’est juste pour avoir de la compagnie. » Les deux autres résidents vont écouter de la musique dans leurs chambres. Plus qu’une simple solution d’hébergement, c’est vraiment « l’esprit de famille » qui compte pour Albert Gentils. À 72 ans, il n’envisage pas de prendre sa retraite et compte bien faire connaître plus largement l’accueil familial.
Comment devenir famille d’accueil ?
Sylvie Valcke, responsable de l’unité de travail au Conseil départemental de Côte-d’Or, détaille les conditions pour devenir accueillant familial.
Quelles sont les conditions pour devenir famille d’accueil ?
Pour obtenir l’agrément du Conseil départemental, il faut suivre une formation de 40 heures organisée par le département. On insiste sur les conditions requises pour assurer un accompagnement de qualité et une intégration réussie pour les personnes accueillies. La famille d’accueil doit connaître les conditions de base, ce qui signifie la compréhension du système de l’accueil familial et de ses contraintes, ainsi que la compréhension des suivis médicaux que les accueillants doivent réaliser auprès des personnes accueillies. En 2023, six accueillants ont participé à cette formation, et ils devront continuer à suivre d’autres formations tout au long de leur carrière. L’agrément du conseil départemental est à renouveler tous les cinq ans et il est valable sur tout le territoire national.
Quelles sont les qualités requises ?
On n’accorde pas l’agrément à chaque personne désireuse de devenir famille d’accueil uniquement pour améliorer ses revenus. L’accueillant familial doit effectuer un entretien avec un psychologue. Il faut faire preuve d’écoute, de disponibilité, de bienveillance et de capacité d’adaptation. Cet engagement est continu car il faut s’occuper tous les jours de ses résidents. Il est crucial d’offrir un environnement chaleureux pour ces personnes nécessitant un accompagnement permanent.
Y a-t-il un suivi du Conseil départemental sur le long terme ?
Oui, et il n’y a eu qu’un seul cas de retrait d’agrément en dix ans. Les travailleurs médico-sociaux du Conseil départemental jouent un rôle central en rencontrant une ou deux fois par an, le demandeur, sa famille et son mandataire éventuel [dans le cas où les personnes sont sous tutelle, ndlr]. Ces visites à domicile dans les familles permettent de comprendre les besoins spécifiques de la personne accueillie.
De plus, le Conseil départemental s’engage à améliorer le dispositif d’accueil des familles à travers des rencontres périodiques avec des spécialistes travaillant avec l’entité départementale. Ces réunions favorisent les échanges d’expériences et la recherche de solutions collaboratives pour résoudre tout problème éventuel.
- Mary Isaa et Laurie Chaigne