Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Crise du logement : dans les villes moyennes, la colocation faute de mieux

Avec la hausse des loyers et la rareté des logements, la colocation est une solution de plus en plus fréquente dans des villes moyennes comme Brest, Dijon ou Tours. Pour nombre d’étudiants et de jeunes actifs, ce mode d’habitat est cependant davantage subi que choisi.

« C’est le seul logement que j’ai trouvé et c’est de la colocation », résume Alicia Croce, 22 ans, étudiante à Brest, qui, pour 450 euros mensuels, partage un 78 m² avec deux hommes qu’elle ne connaissait pas avant. « J’aimerais partir, car ça ne se passe pas très bien au niveau du ménage ! Mais je ne trouve pas grand-chose d’autre », soupire la jeune femme.
Depuis trois ans, les deux sœurs, Manon et Maeva Loriot, vivent en colocation sur Dijon le temps de leurs études. © Emma Villeroy

À Dijon, Manon Loriot, 23 ans, cohabite avec sa sœur Maéva, 21 ans, dans un deux-pièces de 54 m² pour 700 euros par mois, une source d’économies pour leurs parents. Les deux sont étudiantes, en communication et en biologie. « On a toujours vécu ensemble, donc on savait que la colocation n’allait pas poser de soucis. » Avant ça, l’aînée avait refusé une proposition venant de ses amies. « Ce n’est pas pareil, on n’a pas les mêmes habitudes de vie. » Elle va bientôt quitter la colocation pour emménager avec son copain. « C’est aussi une question d’intimité. »

De son côté, Léa, 22 ans, a vécu quatre ans en colocation à Brest, avec une amie du lycée, pour faire aussi des économies. « Ça s’est super bien passé, mais au fur et à mesure, on a développé chacune une manière de vivre différente. On souhaitait chacune plus d’espace. » La jeune femme vient donc de trouver un appartement pour vivre seule la fin de ses études, car il lui serait « un peu compliqué » de devoir encore partager son espace vital. Cela représente pourtant un effort financier pour elle.

Sur le site de LocService, la recherche de colocation parmi les futurs locataires en Île-de-France est de 7 %. © Emma Villeroy

Même si elle n’est pas forcément plébiscitée par ses utilisateurs, la colocation reste une solution largement proposée sur les plateformes immobilières. Ainsi, sur Leboncoin, la majorité des annonces dans les villes moyennes, en régions, concerne des chambres en colocation, sans même parfois que l’utilisateur puisse bien différencier ces propositions des annonces de logement indépendant.

À Tours, une chambre de 11 m² dans une colocation à trois s’affiche à 430 euros par mois charges comprises, devant une annonce de studio de 22 m² pour 500 euros. À Dijon, deux chambres de 10 m² sont proposées à 400 euros contre un studio de 23 m² pour 490 euros. Et à Brest, on trouve une pièce en colocation de 12 m² pour 450 euros, puis un studio de 21 m² pour 490 euros.

« On ne voit plus qu’elles »

De telles annonces ne sont « pas forcément » plus nombreuses qu’avant, mais « on ne voit plus qu’elles », résume Yvan Thiébault, data analyst pour la plateforme immobilière LocService. Pour lui, une fois installés, les actifs se mettent à déménager de moins en moins, ce qui explique cette progression des colocations. « Les seuls qui changent de logement maintenant sont ceux qui sont obligés, donc les étudiants et jeunes locataires, sur des petites surfaces. » Les autres types d’habitats ont moins de changement, donc moins de disponibilités. « Quand il y a moins de place pour loger des gens, on va en mettre plus dans les petites surfaces. La demande va donc se reporter sur la colocation. »

Sur LocService, la recherche de colocation parmi les futurs locataires en Île-de-France est de 7 % des requêtes en ligne. En région, ce chiffre descend à 4 %, tous territoires confondus. Il tend pourtant à augmenter dans les villes moyennes qui accueillent entre 30 000 et 40 000 étudiants, comme Dijon, Tours ou Brest, où ce taux atteint 5 à 6 %. Cela s’explique par les loyers en hausse et la tension locative, c’est-à-dire le rapport entre le nombre de personnes qui cherchent et celles qui proposent un logement.

« Ça s'est super bien passé, mais au fur et à mesure, on a développé chacune une manière de vivre différente. On souhaitait chacune plus d'espace »

À Dijon, où le mètre carré moyen se loue 16,30 euros, cette tension est modérée, avec un ratio de 1,4, mais 6 % des recherches portent sur des colocations, « le deuxième mode de logement le plus économique après la chambre chez l’habitant » selon Yvan Thiébault.

À Tours, les prix sont légèrement inférieurs (15,90 euros le mètre carré), mais le marché est plus tendu (le ratio est de 2,4), deux aspects qui encouragent la colocation.

Une forte tension locative

Brest présente une situation atypique : son marché locatif est encore plus tendu (la demande y est 2,7 fois supérieure à l’offre), cependant les prix y restent encore modérés, à 13,5 euros en moyenne le mètre carré. Ce qui pourrait ne pas durer : à moyen terme, « c’est sûr que ça va pousser encore les loyers vers le haut assez vite », selon l’expert déjà cité.

Dans la cité bretonne, où les loyers et charges ont augmenté de plus de 4,5 % depuis 2022, cette tension s’explique notamment par la hausse de la population étudiante, passée de 26 000 étudiants en 2015 à plus de 31 000 aujourd’hui. Dès 2021, l’Agence d’Urbanisme de Brest-Bretagne (ADEUPa) avait alerté sur l’impact de cette hausse sur le marché locatif.

Entre les étudiants et les jeunes actifs employés à la base militaire, la demande sur les petites surfaces grimpe en flèche, analyse Richard Cordier, directeur de l’agence immobilière L’Adresse à Brest. Or l’offre ne suit pas, avec la diminution des constructions et du parc social. « On voit bien aujourd’hui que le marché casse de partout, c’est trop cher. » Conséquence : si « l’effet de mode » pour la colocation est passé, cette solution reste privilégiée « quand les gens n’ont pas le choix », selon l’agent immobilier. Pour lui, la colocation est considérée la plupart du temps comme une solution par défaut, les étudiants et jeunes actifs préférant disposer de leur propre logement.

Des économies sur la nourriture

Pour la Fédé B, la première fédération d’associations étudiantes de Bretagne, c’est bien la précarité étudiante qui pousse les jeunes à choisir la colocation, par souci d’économie et par défaut. « Le logement est la première dépense chez les étudiants », souligne Nine Fernandez, en charge des affaires sociales. S’ils tiennent à un appartement individuel, plus cher, les étudiants doivent souvent s’éloigner des universités, et donc payer plus en transport. 

Un cercle vicieux, qui va les conduire à faire des économies sur l’alimentation, les loisirs, la culture ou la santé, déplore-t-elle.

D’après la Fédé B, les étudiants vont faire des économies sur l’alimentation, les soins, les loisirs et la culture pour pouvoir se loger. © Emma Villeroy

La transformation d’appartements étudiants en logements touristiques, type AirBnB, a aussi contribué à cette situation, dénonce la fédération étudiante, qui pointe également le manque de logements en résidences universitaires : le Crous ne propose que 8 500 logements sur toute la région, alors qu’il en faudrait au moins 11 000 pour respecter les objectifs préconisés par le gouvernement, et donc faire baisser la tension locative.

Des vies différentes

Loin d’être la solution rêvée pour les principaux concernés, la colocation n’est pas non plus plébiscitée par le voisinage qui se plaint parfois de nuisances sonores lors de soirées ou de déménagements, pointe Marion Bleunben, de la CLCV, une association locale de consommateurs à Brest. Auparavant occupés par des familles, ces logements deviennent des « repères étudiants », avec des incidences sur la vie quotidienne. Au point que de nombreuses copropriétés les interdisent.

La négligence des bailleurs, qui « laissent les gens s’autogérer », et sont peu « réactifs », notamment pour procéder aux réparations nécessaires dans l’appartement, participe aussi à l’impact négatif des colocations, selon elle.

En outre, ce laisser-aller dans la gestion va de pair avec un turn-over important des locataires, dans des appartements transformés en « lieux de passage », souligne Mme Bleunben. Les occupants n’y restent en moyenne qu’un an, notamment parce qu’ils n’envisagent la colocation que comme solution temporaire, et aussi, car les propriétaires sont plus souples, du moment que les chambres sont louées. « De nos jours, les bailleurs proposent la plupart du temps des contrats personnels. Il n’y a plus de bail collectif. Les occupants peuvent donc s’arranger entre eux pour trouver de nouveaux locataires et ne pas respecter forcément les préavis. »