Après le Golden Coast, les rappeurs dijonnais en attente de succès

Siiré, Minimal, LBD et Kid Exotic sont quatre artistes dijonnais qui se sont produits en septembre à Dijon, lors du Golden Coast, le premier festival 100 % rap en France. La dernière marche bourguignonne avant de partir à la conquête du public français ? C’est ce qu’espèrent ces quatre rappeurs, en attente de retombées concrètes. 

LBD au « Owl Cyper Dijon », 3 mois après le Golden Coast. © Valentin Loisel

Minimal, dijonnaise de 25 ans, ne s’était jamais produite dans un festival de cette envergure. Elle l’a senti : « Je n’ai pas réussi à me mettre dans des conditions optimales, mais j’ai quand même tout donné ». Stressée mais aussi « déterminée », la rappeuse a néanmoins relevé le défi d’ouvrir le Golden Coast, le vendredi 13 septembre, à 16h30. Elle a crée ce qu’elle appelle du « blues digital » : des paroles mélancoliques sur une instrumentale hip-hop. «Je suis hors code ». L’artiste d’origine ivoirienne parle de la scène comme d’un moment vital : «Je peux enfin être moi-même ». Les horaires en après-midi ne sont pas les plus simples, mais le public a répondu présent.  

Minimal : « J’ai été bercée par la chanson française comme Stromae, Jacques Brel, des chanteurs à texte ». © Minimal

Les « Golden talents » : le nom donné par le festival aux artistes dijonnais 

Le Golden Coast est LE nouveau rendez-vous du rap français, donc une fenêtre de visibilité pour des artistes en quête de succès. La première édition s’est tenue à Dijon, en septembre dernier. En deux jours, 50 000 visiteurs sont venus écouter les artistes les plus populaires, comme Booba (3,9 M d’auditeurs mensuels sur Spotify), SCH (4 M) et Ninho (6,5 M). Mais à côté de ces millionnaires du clic, l’événement a offert une exposition inédite aux rappeurs dijonnais, baptisés pour l’occasion les « Golden talents ». Pendant trente minutes et toujours en après-midi, Minimal, Siiré, Kid Exotic et LBD ont pu montrer ce qu’ils savaient faire sur la plus petite scène du festival. Jusqu’à 500  personnes sont parfois venues les acclamer. 

« Il faut que le public se mange notre prestation »

Avant de débuter son concert, ce n’était pas tant la pression qui rongeait Siiré, mais son envie de « choquer » le monde : « Il faut que le public déguste notre prestation et qu’il se dise que c’était aussi bien que les gros artistes. » Devant le public, le rappeur de 29 ans s’avance le visage recouvert de bandelettes et paré de fleurs. Ce masque symbolise sa « renaissance » : il se définit comme un homme brûlé par la vie. Au fil des chansons, il retire son masque jusqu’à révéler sa véritable identité aux spectateurs. Le geste est symbolique : « La musique me soigne ». En moins d’un mois, lui et son collectif ont préparé toute leur prestation, des éléments décoratifs de la scène à l’ordre des chansons. « Les paravents sur les côtés, c’est le père d’un ami qui les a faits, les dessins sur les éléments du décor, c’est une de mes proches », précise Siiré. « C’est le Superbowl pour moi, on a travaillé une scénographie avec des danseurs un mois avant. Je leur ai dit, moi je ne suis pas Beyoncé, je ne peux pas chanter et lâcher une bête de danse, mais je rejoindrai votre choré, et ça s’est très bien passé ». 

Siiré : « Ma hantise c’est que le public ne soit pas réceptif à ma musique ». © emotivegirl

Tous les rappeurs dijonnais invités au Golden Coast ont écumé les plus grosses scènes de la ville. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils ont été choisis. Mais pour être le plus performant possible le jour J, certains ont été accompagnés par La Vapeur, salle de concert historique de Dijon labellisée « Scène de Musiques Actuelles » (SMAC). C’est le cas de Siiré. Il a bénéficié de cours de régisseurs en accéléré pour mieux occuper la scène, entre autres. Pour Sébastien Beau, le responsable de l’action artistique à La Vapeur, lorsque l’on se produit devant un public, trois éléments sont à prendre en compte : « Ce que ton texte raconte, comment tu le racontes sur scène et est-ce que tu arrives à véhiculer l’émotion que tu souhaites transmettre. Si mon texte est bon, comment ça se fait qu’on ne m’entende pas ? » Il insiste sur la partie technique : « Quand ils débutent, les rappeurs ne font que de marcher sur scène, ça donne le tournis aux spectateurs, il faut savoir gérer ses déplacements. Il faut aussi ne pas mettre la main sur la bonnette du micro, bien entendre les retours son, ou encore varier son set pour avoir du rythme. » Le responsable de La Vapeur déplore un travers« Les rappeurs sont occupés à s’occuper du virtuel. Les streams, les clips… La scène ils disent qu’on verra après. Une vraie fanbase se crée en concert ».  

Lorsqu’on est devant une foule, il faut savoir garder son public : « On apprend à interagir avec les spectateurs en faisant en sorte de les faire participer », indique LBD. Pour le Golden Coast, le rappeur a adapté les arrangements de ses morceaux, et interprété des sons forts et rythmés, lui qui a l’habitude des musiques calmes. Un succès pour le responsable de l’action artistique de La Vapeur qui l’a vu en direct :  « J’ai adoré sa prestation, on en parle depuis longtemps avec LBD de faire des sons qui ambiancent. » 

Kid Exotic a apporté sa rage à la scène du Golden Coast. © Mathys Foubert 

L’important est de capitaliser sur la visibilité donnée par le festival, estime Kid Exotic qui cartonne sur les réseaux : « Il faut inviter les médias, parler avec les artistes et managers présents. Moi, j’ai parlé avec un photographe qui a pris mon cliché, au final c’était celui de Vladimir Cauchemar ! » Suite à ça, le célèbre DJ de musique électro suit le jeune rappeur sur les réseaux. « C’est surtout bon pour le CV !, renchérit Big Billy, manager et DJ de LBD. Quand tu fais un show comme ça, les programmateurs d’autres salles sauront que tu as le niveau pour, et ça t’aide à avoir des contrats en plus. » Après le festival, il estime également que le rappeur a gagné une centaine d’abonnés sur Instagram, lui qui en compte 1 900. 

Participer à un tel événement serait déjà une consécration pour beaucoup d’artistes, mais pour cette nouvelle génération de rappeurs, ce n’est qu’une marche de plus de franchie : « Le but c’est d’atteindre le niveau national et même international plus tard, souligne l’artiste aux textes sombres et intimes, Siiré. Après le concert j’ai dit à mon DJ qu’on avait fini le jeu à Dijon. » Même son de cloche du côté de LBD : « On a un pied dans la cour des grands, et il faut que ça soit un tremplin pour enchaîner. »  Le festival a permis au rappeur de 30 ans d’avoir également plus confiance en sa musique : « Je n’ai plus le syndrome de l’imposteur maintenant ». 

Mais la marche suivante est haute et le travail fourni est encore peu récompensé, financièrement parlant. Ces artistes sont tous obligés de cumuler un emploi à côté : ils ne vivent pas encore de leur musique.

« Le Golden Coast, c’est le début et non une finalité »

Ce ne sont pas les revenus tirés de la diffusion qui rapportent le plus pour les rappeurs locaux, mais la scène, constate Big Billy, qui travaille dans l’informatique à côté. En moyenne, Spotify rémunère les artistes entre 0,003$ et 0,005$ par stream. Mais pour l’heure les revenus tirés des concerts restent aussi très modestes : « Pour une première partie d’un autre rappeur, les artistes ont le contrat minimum pour un intermittent du spectacle, 114 euros. » Siiré, animateur dans une MJC, dit avoir reçu environ 660 € pour le Golden Coast, un peu plus que pour sa performance au Zénith de Dijon, en mai 2023 : 330 €.

Kid Exotic : « Allier travail et ma passion c’était fatiguant au début. Maintenant je sacrifie mes heures de sommeil, je ne dors plus que trois, quatre heures par nuit ». © Mathys Foubert 

« J’espère que je pourrai en vivre en 2025, avec la sortie de mon nouvel album », avance Kid Exotic, manager dans une boutique de vêtements. Un album dans lequel il croit beaucoup et où il souhaite parler de ses sentiments, dans un style plus rock’n roll. Un premier single sortira début 2025. « L’idée c’est aussi de faire un maximum de scènes l’année prochaine et de faire une tournée dans de grosses villes de France », ajoute le rappeur. 

Dans un futur proche, Siiré et Minimal souhaitent davantage se professionnaliser. Ils cherchent un manager pour démarcher et réserver des salles de concert. Siiré a notamment performé à la foire gastronomique de Dijon le 9 novembre, lors des ANTDT LAB à la soirée LBD & Friends. Minimal se produira, elle, à La Vapeur, le 21 février 2025, en première partie dEesah Yasuke. Chaque date permet d’engranger de l’expérience. 

LBD (au milieu) est une figure importante du rap dijonnais. © Valentin Loisel

LBD, qui travaille dans une entreprise de transport, préfère adopter une philosophie de vie carpe diem  pour son avenir : « Je ne m’attends à rien, comme ça je ne serai pas déçu. Pour l’instant j’ai un travail, il faut que j’ai le temps de voir mon enfant et les moyens financiers d’assurer son éducation ». Une carrière au niveau national, c’est presque un rêve. Avec en mémoire les paroles du refrain de son titre Spectacle

« T’avais des rêves ils étaient beaux

T’avais des rêves et c’était spécial

T’es plus dans les bas que dans les haut 

T’es loin du monde tu rates le spectacle »

« Dans le boulot et la vie quotidienne je pense à des rimes que je peux faire, la musique est toujours dans un coin de ma tête »

Cela n’empêche pas le rappeur de sortir son premier album, courant 2025, après avoir sorti 3 EPs. « Le plus gros projet de ma vie », comme il le décrit. Ce sera, selon lui, son projet le plus abouti, musicalement parlant. Lui qui a l’habitude de retranscrire ses émotions dans ses textes qui abordent l’amour, l’incertitude et la mélancolie, souhaite travailler sur des mélodies plus entraînantes et rythmées. « Dans le boulot et la vie quotidienne je pense à des rimes que je peux faire, la musique est toujours dans un coin de ma tête », dit LBD

LBD (à droite) au Zénith de Dijon, le 10 mars 2023.  Il est accompagné de Big Billy, son DJ (au milieu) et de Jotha, son backer (à gauche) ©hdmib

Pour l’épauler, il pourra toujours compter sur l’aide de son manager, Big Billy qui décrit le rappeur comme son frère, « LBD va sortir un projet dont il est très fier. On va essayer de sortir de Dijon et de le défendre. On veut un show visuel et faire de grandes scènes. C’est le moment, on a confiance en nous, qu’est-ce qu’on a besoin de plus pour y aller ? » Sébastien Beau prévient : « C’est difficile de sortir de sa région. Même si je suis convaincu que ces artistes peuvent avoir une carrière nationale, il y a une part de chance ».