- 11 juin 2025
- Portfolios
Sur les lieux des disparues de l'Yonne
Un arrêt de bus, un chemin emprunté quotidiennement, la forêt… Des endroits ordinaires sont les témoins silencieux des derniers instants de vie des « disparues de l’Yonne ». Avant l’annonce de la reprise des fouilles à Rouvray en mai, nous avons décidé de réaliser un reportage sur les lieux qu’ont traversés les victimes d’Émile Louis. Pour traiter du temps qui passe sans véritable dénouement. Sur huit femmes reconnues disparues dans les années 70, seulement trois ont été retrouvées à ce jour. Émile Louis, lui, est décédé en prison en 2013.
Le square Christian Jambert d’Auxerre, inauguré en 2018, rend hommage à l’adjudant-chef qui a été le premier à établir un lien entre Émile Louis et la disparition de plusieurs jeunes filles placées. Le 4 août 1997, il est retrouvé mort dans son garage, deux jours avant sa comparution pour témoigner dans cette affaire. Son décès classé comme un suicide, laisse planer le doute sur les réelles circonstances de sa mort. Au centre du square, la stèle réalisée en 2005 en souvenir des victimes, on peut lire : « À la mémoire des disparues de l’Yonne. Hier elles demeuraient dans l’oubli et le silence. Aujourd’hui elles illustrent la reviviscence. Demain, n’oubliez jamais ce que fut le combat de leur défense ».
C’est ici, à Rouvray, dans une ancienne maison de garde-barrière de la ligne PLM, qu’Émile Louis grandit. Né à Auxerre et abandonné dès sa naissance, il est confié à l’assistance publique puis placé en famille d’accueil. Plus tard, il devient lui-même père nourricier et accueille des jeunes filles placées dont certaines subissent ses violences.
Tout au long de sa carrière, Émile Louis occupe des postes qui le rapprochent de jeunes filles placées. Gardien dans un château à Villefargeau, il y vit avec sa famille et plusieurs enfants confiés par la DDASS, dont Jacqueline Weis. Jardinier dans un foyer à Montmercy où il commet des abus. Plus tard, chauffeur de bus pour les Rapides de Bourgogne, il transporte quotidiennement des jeunes handicapés vers leurs instituts médico-éducatifs (IME). Un rôle qui lui permet de gagner leur confiance et d’approcher ses futures victimes.
La plupart des jeunes filles disparues sont pensionnaires de l’IME de Grattery, à Auxerre. L’absence de signalements de leurs absences par les responsables de l’époque contribue à maintenir leur disparition dans l’indifférence. Un symbole du dysfonctionnement de ces institutions. Émile Louis travaille alors comme chauffeur pour le compte de l’Association Pour Adultes et Jeunes Handicapés de l’Yonne. Il assure les trajets entre établissements spécialisés et lieux d’hébergement, en bus ou avec sa voiture personnelle. Un accès privilégié qui lui permet de passer inaperçu.
La rivière du Serein traverse des zones boisées de l’Yonne, difficiles d’accès et marécageuses. Émile Louis fréquente ces lieux pour y pêcher. En décembre 2000, sur ses indications, les corps de Jacqueline Weis et Madeleine Dejust sont découverts non loin de la rivière. En 2018, la voûte crânienne de Marie-Jeanne Ambroisine Coussin, disparue en 1975, est également retrouvée à proximité.
En 2000, Émile Louis avoue avoir tué sept femmes confiées à la DDASS dans les années 1970. Il désigne sept emplacements dans les sous-bois de Rouvray, mais seulement 3 corps seront retrouvés depuis. Parmi les disparues entre 1975 et 1980 : Martine Renault, 16 ans, dit rejoindre sa mère avec l’aide du chauffeur. Jacqueline Weis, 18 ans, accompagnée à la gare par Émile Louis. Chantal Gras, 18 ans, élève à l’IME de Grattery, se volatise après avoir été déposée chez elle. Madeleine Dejust, 22 ans, devait se rendre en bus à la gare de Migennes. Françoise et Bernadette Lemoine, l’une résidait dans un hôtel proche de la société des Rapides et Bourgogne, l’autre s’était réfugiée chez ses parents. Enfin, Marie-Jeanne Ambroisine Coussin, 40 ans, hébergée à Monéteau, sur le trajet quotidien du tueur.
La gare d’Auxerre est un point de rendez-vous fréquent pour les jeunes filles qui prennent le car du chauffeur. Jacqueline Weis, confiée à la concubine d’Emile Louis, le côtoie quotidiennement jusqu’au jour où il l’accompagne à la gare en lui promettant un emploi à Avallon. Elle ne donnera plus jamais signe de vie. Son futur employeur supposé, dira ne l’avoir jamais rencontrée.
Au domicile de Pierre Monnoir, le fondateur de l’Association de Défense des Handicapés de l’Yonne (ADHY) qui a joué un rôle déterminant dans la médiatisation de l’affaire des disparues de l’Yonne. En 1996, il décide de dévoiler les résultats de ses deux années de recherches dans l’émission Perdu de Vue, sur TF1. Aujourd’hui il est considéré comme le lanceur d’alerte de l’affaire. Malgré les menaces de mort, il poursuit son combat pour que les familles obtiennent des réponses et continue à recevoir des témoignages d’habitants qu’il transmet à la justice.
En 1981, le corps de Sylviane Lesage est découvert dans un tas de fumier à Rouvray. Le gendarme Jambert établit un lien direct avec Émile Louis, mais en l’absence de preuves suffisantes, un non-lieu est prononcé en 1983. Face à l’inaction du parquet d’Auxerre, l’Association de Défense des Handicapés de l’Yonne (ADHY) est créée en 1992 pour fédérer les familles et lancer une campagne médiatique. Six plaintes avec constitution de partie civile sont déposées en 1996 auprès du juge d’instruction d’Auxerre. L’affaire est une bataille de procédure depuis plus de 40 ans.
Les fouilles ont repris le 26 mai 2025 dans ce qu’on appelle le « cimetière d’Émile Louis » à Rouvray. Sur les huit femmes reconnues comme disparues, seulement trois ont été retrouvées. Cette nouvelle phase de recherche s’appuie sur de nouveaux témoignages et vise à retrouver les cinq corps manquants, ainsi que le reste de la dépouille de Marie-Jeanne Ambroisine Coussin. Sur place, plus de 440 militaires sont mobilisés pendant au moins trois semaines. La zone de recherche, plus vaste que les quatre précédentes organisées entre 2000 et 2024, a déjà livré des restes de vêtements féminins des années 70.
Chantal Gras, Françoise Lemoine, Martine Renault, Bernadette Lemoine, Christine Marlot, cinq corps jamais retrouvés. Ces jeunes femmes, toutes pupilles de l’État, restent les grandes oubliées. Ces fouilles sont peut-être le dernier espoir pour les familles de leur offrir à chacune la sépulture digne qu’elles n’ont jamais eue.
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