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Développer la biodynamie dans la viticulture

Apparue il y a un peu plus d’une vingtaine d’années sur le vignoble bourguignon, la biodynamie attire de plus en plus de viticulteurs. Caractérisée par une approche différente de la plante et de son traitement, la méthode biodynamique utilise des procédés éloignés de la viticulture conventionnelle, sans pour autant réduire la qualité des vins produits.

— Cet article est extrait de R45, la revue du master imprimée en février 2019, sous le titre « La vigne, un être vivant »

Un viticulteur travaille dans sa vigne

À l’aide de son pulvérisateur, le viticulteur arrose ses vignes de bouse de corne. Il permet ainsi d’édifier la structure du sol. © Orlando Niyomwungere

Juin 1924. Le philosophe spiritualiste germanique Rudolf Steiner donne une série de huit conférences à Koberwitz, en Pologne. Plus connue sous le nom de Cours aux Agriculteurs, ce cycle d’interventions magistrales donne naissance à la biodynamie. « Rudolf Steiner avait de grandes connaissances, il considérait la plante comme un être vivant, un être vivant qui vieillit », raconte Bruno Clavelier, viticulteur et gérant du domaine familial Bruno Clavelier. Ce dernier travaille la vigne de manière biodynamique depuis plus de vingt ans à Vosne-Romanée, à côté de Nuits-Saint-Georges. Durant l’entre-deux-guerres, l’industrie se développe et produit des éléments chimiques qui contribuent à accélérer le vieillissement des plantes traitées. « L’apport des produits de synthèse, c’est la mort de tout. Avec toute cette chimie, les sols mortifient, ils ne vibrent plus. Aujourd’hui, dans des lieux aussi magiques, on ne peut plus travailler avec des choses mortifères, il faut retrouver la vie dans la plante », explique le producteur vosnier avant d’ajouter : « La nature ne marche que par des équilibres. »

Une technique et un état d’esprit

De cette philosophie induite par la biodynamie découle une autre façon de travailler, une autre façon de s’occuper de la vigne. La méthode biodynamique s’articule autour de l’utilisation de deux préparations ayant des utilités bien particulières : la bouse de corne et la silice de corne. Contenues plusieurs mois dans une corne de vache enfouie dans le sol, la première est constituée de bouse de vache et la seconde de quartz finement broyé. Une fois sorties du sol, elles sont « dynamisées », un état obtenu après un brassage énergique effectué à partir d’une petite quantité de substance dans un volume d’eau chauffé à 37°.

Bruno Clavelier réalise avec son dynamiseur la plupart de ses préparations. Ici, il brasse énergiquement une quantité minime de substance dans une eau à 37 degrés. © Orlando Niyomwungere

Elles sont ensuite pulvérisées, au printemps et à l’automne, en fin de journée sur les sols (pour la bouse) ou tôt le matin sur la partie aérienne des plantes (pour la silice). Ce traitement permet d’édifier la structure du sol et de stimuler la résistance des plantes. D’autres préparations (aussi appelées tisanes) réalisées notamment à base de camomille, de pissenlit ou encore d’ortie, peuvent être utilisées dans le cadre d’une viticulture biodynamique. L’utilisation de ces élaborations spécifiques, au-delà du choix des saisons, fait sens avec la prise en compte des phases lunaires. 

La plante peut ainsi s’énergiser et se renforcer grâce aux puissances naturelles et à l’influence de la lune sur les liquides comme la sève des vignes. Toutes ces actions prennent du temps et demandent une main d’œuvre plus importante que pour la viticulture conventionnelle. Au-delà d’une simple et trop réductrice différenciation méthodologique, la biodynamie est surtout définie et animée par un état d’esprit spécifique. « Avec la biodynamie, on prend la plante dans son ensemble, des racines jusqu’aux feuilles. On considère la plante comme un être vivant entier. Car comme nous, la vigne subit les éléments », souligne Nicolas Rossignol, gérant, avec son frère David, du domaine Rossignol-Trapet depuis plus de 25 ans. Basé à Gevrey-Chambertin, le domaine travaille en biodynamie depuis la fin de l’année 1997.

L’expression du terroir

« À l’époque, avec mon frère, on faisait partie d’un groupe de lutte raisonnée en Côte-d’Or. On se posait énormément de questions sur les produits qu’on utilisait et sur la réduction des doses notamment, se souvient le gérant du domaine gibriaçois. On s’est vite rendu compte qu’en amincissant les pulvérisations avec du matériel en bon état et un contrôle régulier, l’efficacité n’était pas diminuée. Le basculement en biodynamie a eu lieu il y a une vingtaine d’années grâce à différentes formations et à la rencontre de plusieurs intervenants. »

« En Bourgogne, il n’y a pas de star chez les vignerons. La star, c’est le terroir »

« Le goût des vins produits est modifié avec le travail des sols. Cela a évolué dans le bon sens. Les vins ont plus d’équilibre et une personnalité plus importante en fonction de l’endroit où la vigne a poussé. Le vin exprime mieux son propre terroir », note Nicolas Rossignol. « Sur la qualité des vins, on retrouve de la précision et de l’harmonie, souligne Bruno Clavelier. En Bourgogne, il n’y a pas de star chez les vignerons. La star, c’est le terroir. » C’est dire si la biodynamie stimule et revivifie les terroirs. Car, outre un travail sans insecticides ni pesticides, l’approche biodynamique a pour objectifs premiers de valoriser les sols et d’harmoniser la vigne avec son environnement naturel. « Aujourd’hui, on peut dire que les gens ont compris la biodynamie. Il y a une quinzaine d’années, c’était plus de la curiosité », explique Maxime Pindor, conseiller en vin au domaine Michel Magnien à Morey-Saint-Denis. D’abord perçue comme une sorte de sorcellerie rapidement contredite par les résultats probants des récoltes, la biodynamie tend peu à peu à s’étendre dans les vignobles.

Biologique ou biodynamique ?

« Les méthodes issues de l’agriculture biologique, appelée plus communément « bio », et celles issues de l’agriculture biodynamique se différencient sous plusieurs aspects », explique Antoine Lepetit de La Bigne (voir ref. ci-dessous). Pour obtenir la certification en biodynamie – fournie aujourd’hui principalement par Demeter ou Biodyvin -, un viticulteur doit être au préalable certifié en agriculture biologique. Cette certification implique la réduction de l’utilisation d’un certain nombre de produits considérés comme « trop » toxiques. Le bio laisse néanmoins la possibilité d’avoir recours à des substances jugées comme « moins » dangereuses (comme le souffre ou le cuivre par exemple) pour traiter les maladies qui attaquent la vigne. « En 1987, quand j’ai commencé, on devait être moins de 1% à être bio sur les Côtes de Nuits et de Beaune. Aujourd’hui, trente ans plus tard, on est environ 18% à suivre cette démarche », estime Bruno Clavelier. La biodynamie, de même, exige l’interruption de l’utilisation des produits chimiques. Mais sa mise en œuvre demande au vigneron d’opérer un réel et parfois difficile changement de mentalité sur sa façon de concevoir la vigne. Il s’engage à observer et respecter des rythmes naturels, comme le rythme de la lune par exemple. De plus, contrairement au viticulteur agissant en culture conventionnelle et administrant des traitements pour supprimer la maladie, le biodynamiste porte un regard différent sur ses plantes, il s’intéresse aux déséquilibres qui causent la maladie et s’attarde donc sur le fonctionnement (ou dysfonctionnement) du sol, qui est, selon lui, à l’origine du mal-être de la plante. « On agit en préventif et non en curatif », remarque Nicolas Rossignol du domaine Rossignol-Trapet. Pour en savoir plus : Lepetit de La Bigne Antoine, 35 questions sur la biodynamie : à l’usage des amateurs de vin (éd. Sang de la terre, 2014) Joly Nicolas, Le vin, la vigne et la biodynamie (éd. Sang de la terre, 2014)